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dimanche 4 mai 2025

C'était en 1902, et il aura donc fallu 123 ans pour l'apprendre !

 

   Si la plupart des philatélistes intéressés par cette période savent que le premier timbre au type Semeuse a été émis le 2 avril 1903, ceux qui connaissent sa vraie date de naissance sont moins nombreux. 

Nous parlons de la Semeuse lignée d'une valeur faciale de 15 centimes, représentant alors le tarif de la lettre simple pour l'intérieur, dont la toute première date d'impression connue est le 26 mars 1903, en vert.

   L'émission d'un nouveau timbre représentait à l'époque un évènement assez important, faisant couler beaucoup d'encre dans la presse, pas seulement philatélique, et notre Semeuse reçut son lot d'éloges et de critiques, plus ou moins justifiés. Sa longévité exceptionnelle démontrera que ses détracteurs avaient tort.

Il faut reconnaitre que le dessin d'Oscar Roty était fort réussi, et que sa présence sur les monnaies en circulation depuis déjà quelques années, l'avait rendue très populaire.

   La décision du choix de cette effigie pour le nouveau timbre fut prise par le ministre du commerce Georges Trouillot, par un arrêté du 16 octobre 1902. Sa gestation fut donc de 5 mois et 10 jours.

Le ministre était aussi poète !

Et c''est dans Le Figaro du 31 octobre qu'elle fait sa première apparition :


Les sources de ce quotidien étant d'une précision remarquable, on y apprend non seulement le choix de Louis Eugène Mouchon comme graveur...


...mais aussi que l'atelier devait recevoir le coin gravé par Mouchon vers la mi-décembre !

   Mouchon s'est donc mis au travail pendant 2 mois, et nous savons qu'il prit pour modèle un plâtre confectionné par son ami Roty, aujourd'hui conservé au musée de Jargeau dans le Loiret. Celui-ci portait déjà la faciale de 15 c. mais, étant donné que l'administration prévoyait l'émission d'une série de plusieurs timbres portant les différentes valeurs nécessaires à l'affranchissement, il dut réaliser un poinçon sans valeur faciale, comme c'était l'habitude en pareil cas. Ce poinçon que nous connaissons est précieusement conservé au Musée de la Poste à Paris. 

   Voici ce qu'écrivait à son sujet Pierre de Lizeray : l’unique ancêtre de toutes les Semeuses émises. C’est donc une pièce qu’on ne saurait regarder sans un certain respect.

    Monsieur de Lizeray, cet illustre philatéliste, fut longtemps passionné par les timbres d’usage courant, et les a étudiés durant de nombreuses années. Il a surtout eu l’intelligence de publier une multitude d’articles et d’ouvrages à partir des années 1950 jusqu’à son décès en 1983.

Ses recherches, son analyse particulièrement rigoureuse, ses dessins et ses découvertes ont laissé une trace indélébile dans la mémoire des collectionneurs de l’époque qui lui doivent une fière chandelle, et dont je fais partie. Sans lui, la philatélie aurait été bien triste, et il est certain qu’il fut à l’origine de très  nombreuses vocations.

Je crois pouvoir affirmer que les timbres au type Semeuse étaient ses préférés. Il a su les disséquer, les trier, nous les faire aimer, et a réussi à les hausser au même niveau - ou presque - que les timbres classiques qui monopolisaient jusqu’alors les publications dans la presse philatélique.

Afin de remonter jusqu’à leurs sources, cet explorateur a publié en 1955-56 deux ouvrages remarquables consacrés aux poinçons « Semeuses » du Musée Postal, qui restent une référence pour tous ceux qui consacrent encore aujourd’hui un peu de leur temps à cette série de timbres.

Il les analyse en partant du plus ancien qu’il baptise l’ancêtre. Chacun est décrit dans ses moindres détails, chronologiquement d’abord, puis il les numérote par ordre de valeur faciale croissante. Il en dénombre 46, mais son deuxième volume prend fin prématurément avec l’étude des 15 et 20 centimes, et avec leurs mystères. J’ignore pourquoi il n’a pu aller jusqu’au bout (en tout cas il ne l’a pas publié), mais c’est fort regrettable.

Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un passage dans lequel transparait son émotion de se retrouver face à ces petits objets métalliques qui ont donné naissance à nos timbres préférés, certains gravés de la main même d’Eugène Mouchon :

Tous les poinçons conservés au Musée sont rassemblés dans une pièce dont l’accès est interdit au public. Il ne nous a donc pas été donné d’y pénétrer. Nous savons seulement que les outils y sont logés dans un meuble muni de tiroirs très plats sur le fond desquels ils reposent.

Il regrette de ne pas avoir obtenu l’autorisation de pouvoir les photographier, mais ses descriptions sont si précises qu’on les visualise malgré tout assez bien.

Jean Storch et Robert Françon, quelques décennies plus tard, auront le loisir de le faire afin d’illustrer leurs nombreuses études sur la Semeuse, mais les images sont hélas d’un assez petit format, et en noir & blanc.

Cet ancêtre sera par la suite reproduit dans quelques articles, puis sur le site internet du musée, où l’on peut enfin en admirer toute la finesse et la splendeur. Notre masque de Toutânkhamon à nous !

© Musée de la Poste - Paris

Epreuve tirée avec ce poinçon

   Ce qu’il n’imaginait pas, et qui ne lui a pas été dévoilé à l’époque, c’est que le musée actuel conserve en réalité non pas 46 mais 52 de ces outils. Quelle bonne nouvelle : six merveilles de plus ! 

Et que cet ancêtre lui avait caché son père, 

et son grand-père !…


   Remercions à présent comme elles le méritent Mesdames Monika Nowacka, Emma Cas et Marthe Bobik qui ont en charge ce patrimoine extraordinaire du musée de la Poste, et qui nous ont permis de le faire photographier par un professionnel, à notre intention et en exclusivité. Nous aurons donc le plaisir de vous faire découvrir et partager ce que personne auparavant n’avait eu l’occasion d’admirer.

*****

  Voici tout d'abord, un autre poinçon original, sans valeur faciale et en laiton lui aussi, dont nous savions qu'il avait existé puisqu'il fut à l'origine de quelques rares épreuves sur lesquelles la Semeuse a été qualifiée d'archaïque, mais dont les détails de gravure trop fins se sont révélés impossibles à reproduire en pratique, pour imprimer des timbres industriellement :

© Musée de la Poste - Paris

Poinçon archaïque, "père de l'ancêtre"

Epreuve tirée avec ce poinçon


*****

  Mais le plus extraordinaire, c'est que nous avons eu la surprise et l'immense joie d'apprendre que le musée conservait également un autre poinçon de la Semeuse lignée, encore plus précoce que les deux ci-dessus, dont personne ou presque ne soupçonnait l'existence ! 

Certes Robert Françon et Jean Storch en parlaient dans le numéro de février 1991 de La Philatélie Française, mais je ne sais pas s'ils avaient pu le voir, ce poinçon, ou bien s'ils n'en connaissaient que des épreuves. Ce qui est sûr c'est qu'ils n'avaient pas pu le photographier, sinon, ils nous l'auraient montrée cette merveille.
Ils avaient surtout appris qu'il était en bois. 

Oui, vous avez bien lu : EN BOIS ! 

( Probablement en buis )

En effet, ils avaient dans leur collection 2 épreuves découpées et collées sur un support cartonné, avec une inscription manuscrite en marge : "gravure sur bois ayant servi de modèle au premier type". Elles sont réapparues récemment dans une vente publique, et je me suis permis de les encadrer depuis :

Epreuves inversées, sans valeur faciale ni signatures - format 31 x 38 mm


On pouvait avoir la confirmation de l'existence d'un poinçon en bois dans la même vente, avec ces deux épreuves du précèdent poinçon, dit "archaïque", présentées de la même façon :

"Premier type gravé sur laiton d'après gravure sur bois"



   C'est donc un poinçon en bois qui fut gravé en premier lieu par Mouchon à la fin de 1902, avec un format plus grand, et exceptionnellement à l'endroit; ce qui explique qu'il ait pu donner ces épreuves inversées. 
Le voici révélé pour la toute première fois au public :

© Musée de la Poste - Paris

Poinçon en bois"grand-père de l'ancêtre"

( il s’agit très certainement la toute première gravure réalisée par Mouchon )


Les résidus d'encre noire, et le rendu de la photo ne mettent pas en valeur l'extrême finesse de son dessin, et l'impression saisissante de relief voulue et obtenue par l'artiste, mais impossible à reproduire sur les timbres. 
En voici donc une autre image quelque peu améliorée par les outils informatiques d'aujourd'hui :


  Ce qui me donne l'occasion de vous remontrer la magnifique épreuve non découpée qui m'a si longtemps intrigué, et dont je connais dorénavant l'origine, reconnaissons-le assez prestigieuse pour mériter elle aussi d'être encadrée :



Et pour finir, une petite chronologie de ces mois de gestation :


*****

En vous laissant respirer quelques temps pour que vous puissiez vous remettre de l'émotion sensationnelle que cette révélation a pu déclencher chez vous comme chez moi, je vous donne rendez-vous ici-même pour admirer ensemble les autres poinçons du musée, avec encore quelques jolies surprises...


1 commentaire:

JLR95 a dit…

Bonjour,
Merci pour le partage.
Il n'est pas impossible qu'il y ait d'autres trésors cachés, le top serai de retrouver le cahier des machines disparu entre 1939 et 1945.
Amicalement, Jean-Luc