En 1919, il vous fallait 25 centimes pour affranchir une lettre destinée à votre petite amie demeurant à Londres, et les bureaux de poste vous proposaient la plupart du temps une magnifique Semeuse bleue qui, à l'époque, n'existait que sous la forme du type IA (identifié bien plus tard) :
25 c. de 1919 représentent +/- 33 centimes d'euro d'aujourd'hui
Alors que le même envoi vous coûtera cette année 1,96 €
Avec un vilain timbre en plus.
Je vous laisse apprécier le progrès !
Si vous la postiez à Paris à l'époque, votre missive était acheminée tout d'abord en train, puis par bateau pour traverser la Manche, puis à nouveau par le rail, mais elle finissait toujours par arriver à bon port et à temps. Aujourd'hui, je pense que ce n'est plus que par train.
Pensez-vous que le creusement du tunnel puisse expliquer les 500 % d'augmentation ? Non, bien entendu, mais cela donne à réfléchir.
L'acheminement prenait en général 2 jours, et votre correspondante recevait donc des nouvelles assez fraiches. Il fallait cependant ne pas être trop pressé. Le téléphone (fixe) n'était pas encore à la portée de tous. On attendait le passage du facteur avec impatience. C'était le bon temps.
Depuis quelques années (nous en avons déjà parlé ici) l'avion pointait le bout de son nez et faisait rêver le monde entier, bien plus que le train dont on pouvait alors se lasser. Surtout pour les voyages, et pour de longues distances évidemment.
Mais même pour transporter du courrier, ce nouveau moyen de transport ultra rapide faisait parler de lui, car le gain de temps pouvait être synonyme de gain d'argent. Et l'appât du gain a toujours été un vecteur de modernisation.
Je me demande QUI a bien pu avoir l'idée de mettre en place un service postal aérien à l'été 1919 entre Paris et Londres, et QUELLES étaient ses motivations ?
Y avait-il une demande si forte pour que le courrier passe d'une capitale à l'autre dans la journée ?
Ou bien était-ce pour mettre en place un service nouveau, original et à la mode, véritable porte étendard de la modernité de l'administration ?
La France était alors en pointe au niveau international dans bien des domaines.
Blériot avait été le premier à traverser la Manche en 1909
Dix ans plus tard, la Compagnie Générale Trans-aérienne rachète à l'armée 5 avions de chasse biplan du type Nieuport 28, et les transforme en août 1919 pour les rendre aptes au transport postal :
L'administration a bien dû établir un contrat avec cette CGT (mais je n'en ai pas retrouvé la trace) afin de mettre en place ce service postal aérien à partir du Bourget, assurant le transport du courrier vers Londres en quelques heures : pour environ 350 Km.
Un tarif qui semble astronomique a alors été fixé : 3 francs 25 pour une lettre simple :
Surtaxe aérienne pour la lettre de 20 grammes entre Paris et Londres
= 3 francs (décret n°14916 du 29/09/1919)
Celui-ci, probablement jugé excessif, ne sera appliqué que pendant un an à peine, et passera à 1 f. en septembre 1920.
13 fois le prix de la lettre habituelle !
Cela ferait plus de 25 euros aujourd'hui !
Vous me voyez venir : un tarif exorbitant, durant une courte période, et en pleine période d'utilisation de ma Semeuse préférée...
Les riches amoureux parisiens désirant absolument correspondre en urgence avec une petite anglaise, ne devaient pas se bousculer au portillon. A moins qu'ils ne veuillent vraiment l'impressionner...
Plus d'un siècle plus tard, avec de la chance et de la persévérance, on peut cependant trouver quelques superbes témoins de cette aventure aéropostale, mais logiquement, pour arriver au bon tarif, c'est le timbre à un franc au type Merson qui brille sur ces lettres à côté de notre Semeuse :