Le Dragon d'Annam au départ du Bourget - 19 février 1929
Pour faire suite à notre dernier article, et toujours à propos des annulations rares supportées par nos chères Semeuses, je tenais à vous rapporter l'histoire extraordinaire du Dragon d'Annam, l'avion qui les a envoyées en l'air, entre Le Bourget et Bondy...
La mode était aux raids aériens.
Les grands pilotes qui s'étaient couverts de gloire grâce à leur courage au cours de la première guerre mondiale, cherchaient sans cesse de nouveaux itinéraires qu'ils seraient les premiers à parcourir avec leurs machines volantes.
Plus les destinations étaient lointaines et les vols risqués, plus ils étaient tentés.
Le public se passionnait pour ces aventuriers, leurs exploits et leurs mésaventures. Du coup, comme les philatélistes étaient nombreux parmi eux, et que la Poste Aérienne vivait ses premières grandes heures, la plupart de ces vols emportaient dans leur soute des sacs de courrier.
Le tarif demandé par la Poste pour ces missives était exorbitant, à la hauteur des exploits accomplis.
Même s'il existait certainement une petite part de correspondances réelles, pour lesquelles les expéditeurs étaient prêts à s'acquitter d'une surtaxe importante afin que leur envoi arrive à destination bien plus vite que par les autres voies terrestres ou maritimes de l'époque, la plupart des lettres transportées provenait de philatélistes amateurs de ces "premiers vols".
La presse annonçait ces tentatives de traversées fabuleuses et le public répondait présent. Il ne fallait surtout pas le décevoir. Des oblitérations spéciales étaient créées pour l'occasion, avec de jolis cachets à date et de beaux tampons authentifiant le vol de ces enveloppes. Parfois même les pilotes y apposaient leur signature !
Souvent adressées en "poste restante" à une personne fictive, et donc jamais récupérées à destination, elles étaient retournées à l'expéditeur, philatéliste ravi de se procurer ainsi une belle pièce pour sa collection.
De tels exemples sont courants en philatélie et restent pour moi sans grand intérêt, même si certains vols ont emporté très peu de lettres, avec des pilotes célèbres (Jean Mermoz notamment), atteignant des pays exotiques et lointains. Mais il y a des amateurs, et les prix s'envolent parfois eux aussi...
L'équipage du vol qui nous intéresse, constitué de Dieudonné Costes, Maurice Bellonte et Paul Codos, ne restera certainement pas dans les annales suite à cet exploit-là...
L'histoire postale s'est retrouvée au premier plan, un cas resté unique à ce jour !
La concurrence était forte et Le Brix se préparait lui aussi à la même liaison au même moment.
*****
Mais, appréciez tout d'abord ces extraits du récit de l'aventure,
de la main du second pilote de l'avion :
(Routes de Ciel par Paul Codos - Éditions France Empire)
Notre itinéraire comportait une première étape à Tri-poli, puis viendraient Le Caire, Bassorah, Karachi, Allahabad, Calcutta et Hanoï. Alors que les meilleurs bateaux mettaient près d'un mois pour atteindre l'Indochine, une liaison en trois jours et demi, ainsi que nous pensions le faire, apparaissait comme un objectif de première grandeur.
Un Breguet biplan 284T, muni d'un moteur Hispano-Suiza de 550 C.V., nous était attribué, baptisé pour la circonstance "Dragon d'Annam".
À 17 h 40, le Dragon d'Annam est sorti de son hangar. L'appareil est maintenant en position de départ. Costes s'installe au poste de pilote, Bellonte et moi embarquons à sa suite. Une dernière vérification. Oui, les sacs postaux que les P.T.T. nous ont confiés sont bien à bord. Ils contiennent plus de 6.000 lettres à destination de l'Indochine. (N.B. il y en avait probablement davantage)
Costes ouvre les gaz. Nous décollons avec facilité. Un tour de terrain, nous piquons vers le sud-est. Le cap donné, je me dirige vers l'installation aménagée dans la partie supérieure de la cabine pour surveiller la dérive et la route.
Nous sommes environ à 500 mètres d'altitude lorsque le ronronnement du moteur s'interrompt. Une courte reprise, un toussotement : l'hélice s'arrête.
D'un bond, j'ai regagné ma place. Je saute sur les robinets de vidange. J'y rencontre la main de Costes qui s'y pose au même moment. Une pression rapide, nous sentons que l'avion s'allège. Au-dessous, c'est le noir parsemé de lumières clignotantes. Nous allons percuter une agglomération.
Costes s'est rivé aux commandes.
Dans ces ténèbres, il distingue un noir plus intense. L'aile inclinée frôle des toits. Le trou sombre est là. Costes plaque l'avion. Un bruit enveloppant, un déchirement de tôle qui semble nous pénétrer, de multiples chocs, une intense odeur d'essence. Le silence.
- Personne n'a rien ? haleta Costes.
- Ça va, répondit Bellonte.
Péniblement, je parvins à articuler :
- Moi aussi.
Après de multiples efforts, je parvins à sortir de la cabine. Nous
étions saufs. Notre premier regard fut pour l'appareil.
C'est à Bondy, à moins
de soixante mètres du pont qui enjambe la ligne Paris-Strasbourg, que notre
avion s'était incrusté dans le terre-plein large de vingt mètres qui sépare
deux séries de voies. Le moteur presque intact avait dévalé la pente du talus,
tandis que l'extrémité de l'aile droite atteignait le niveau du ballast, à
moins d'un mètre des rails. La demi-aile inférieure gauche complètement
retour-née laissait apercevoir les lettres d'immatriculation.
Un poteau
télégraphique s'était, à l'emplanture, profondément enfoncé dans l'aile. Le
train d'atterrissage, enterré, avait perdu une roue que l'on retrouva à
plusieurs dizaines de mètres.
Les vitres de la cabine étaient en miettes et le fuselage, replié sur lui-même, avait cédé juste au ras des sièges.
Les vitres de la cabine étaient en miettes et le fuselage, replié sur lui-même, avait cédé juste au ras des sièges.
Le Dragon d'Annam ne verrait jamais le pays du « Midi pacifié ». Une incompréhensible panne d'alimentation avait mis fin à mes premiers pas d'aviateur de raids.
*****
Le courrier posté dans tout le pays ne devait pas être oblitéré par le bureau d'origine, ce qui est contraire aux habitudes. Il devait porter la mention "Par voie aérienne de France en Indochine" pour pouvoir être centralisé au Bourget, et y recevoir l'oblitération spécialement prévue, un grand cachet à date rond :
"POSTE AERIENNE FRANCE - INDOCHINE".
Les lettres simples devaient être affranchies à 10 f. 50 et les recommandées à 11 f. 50, ce qui correspondait à une somme importante pour l'époque !
Comme on aurait pu s'y attendre, cette consigne n'a pas toujours été suivie "à la lettre", et certaines ont reçu par erreur une oblitération dite "normale".
Lorsque la poste s'en aperçut au Bourget, et pour satisfaire ses clients qui avaient déboursé 10 francs de plus pour ce premier vol, elle prit une décision exceptionnelle : à ses frais, elle affranchira à nouveau les lettres en question, avec de nouveaux timbres, pour que ceux-ci puissent recevoir le joli cachet prévu à l'intention des amateurs. Beau geste, non ?
Et elle a dû annuler les autres timbres, oblitérés par erreur d'un cachet classique, avec une griffe ANNULÉ. Et c''est cette griffe qui est rare !
On sait que 542 lettres ont ainsi dû être ré-affranchies, dont une cinquantaine de recommandées.
Coût de l'opération pour la Poste : environ 5500 francs !
Par ailleurs, tout le courrier a été retourné aux expéditeurs suite à l'accident, après avoir reçu une grande griffe violette :
RAID INTERROMPU
PAR ACCIDENT
Retour à l'envoyeur
Peu de timbres ont été décollés de leur support comme celui-ci :
Les lettres en revanche ont été précieusement conservées par leurs expéditeurs, et se rencontrent assez souvent puisque les sacs en contenaient des milliers, et qu'elles ont été sauvées.
En voici une jolie, recommandée, pour laquelle les consignes ont été bien suivies :
Les timbres ont bien reçu le cachet spécial.
Les deux suivantes en revanche ont reçu l'annulation, et ont été ré-affranchies.
Elles sont bien moins courantes :
Lettre simple à 10 f. 50
Lettre recommandée à 11 f. 50
Compte-tenu des tarifs, on trouve bien entendu la plupart du temps des timbres au type Merson pour arriver à 10 francs, avec en complément de nombreux autres timbres de l'époque.
La Semeuse est logiquement largement représentée.
Le faible nombre d'entre elles qui ont reçu la griffe ANNULÉ en font de vraies raretés.
Voici d'autres exemples de ces jolis et rares courriers avec l'annulation :
Cachet normal sur les timbres "d'origine" qui ont été annulés,
et les 2 mêmes timbres apposés au Bourget, oblitérés avec le joli cachet :
Celle-ci n'a coûté que 10 f. à la Poste (le Merson apposé au dos)
puisque le 1 f.50 Légion américaine n'avait pas été oblitéré :
puisque le 1 f.50 Légion américaine n'avait pas été oblitéré :
Ces deux-là sont les sœurs jumelles de la mienne
(même expéditeur, même timbres, et même adresse) :
(même expéditeur, même timbres, et même adresse) :
Sur ces 10 suivantes, on note un gros coup de crayon en plus de l'annulation :
(ces 2 dernières sont réaffranchies au dos avec 23 timbres 199 !)
On trouve une grande diversité de de timbres pour arriver au bon tarif :
Etiquette de recommandation bizarrement au dos !
Affranchissement parfois franchement extravagant :
Celle-ci est la seule vue affranchie exclusivement avec des Semeuses :
(ex. collection R. Françon)
Cette dernière me semble un peu douteuse, car nulle part dans les multiples
compte-rendus de l'accident il n'est fait mention d'un incendie :
Celle-ci (la seule) certainement plus lourde, a été affranchie (et ré affranchie) à 15 f. 50 !
Comme le démontre enfin ces deux-là, le courrier pouvait
tout à fait être posté hors de la métropole (ici le Maroc !) :
Vous pouvez trouver de nombreux autres articles de presse
tout à fait être posté hors de la métropole (ici le Maroc !) :
Vous pouvez trouver de nombreux autres articles de presse
relatant l'accident à cette adresse :
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Ce cachet bleu avec nom de l'avion est rarement rencontré,
mais celle-ci n'a pas dû être ré-affranchie
puisque les timbres ont bien reçu d'emblée le cachet spécial :
puisque les timbres ont bien reçu d'emblée le cachet spécial :
Et sur celle-ci, curieusement, le joli cachet a été apposé
par-dessus le cachet normal, sans ré-affranchissement,
sur les timbres qui sont restés non annulés :
Voici pour terminer un récapitulatif des timbres vus et annulés
sur tous les courriers que je vous ai montrés (numéros Yvert & Tellier) :
107 x 1
123 x 19
145
159 x 3
163 x 7
164 x 9
165 x 6
169
179
181 x 34
188 B x 2
195 x 1
199 x 26
199 pub TA x1
202 x 2
203
205 x 22
206
207 x 25
208
218 x 2
231 x 4
232
235 x 4
236 x 2
237 x 3
238 x 3
243 x 2
244 x 1
245 x 3
249 x 5
250 x 7
251 x 5
Maroc 78 x 2
Maroc 79 + 115
Maroc PA 12 +13 +14 + 18 + 21
Total : 215 timbres dont 84 Semeuses.
Vous voyez que, mine de rien, ces annulés sont rares, et certains uniques !
Merci aux collectionneurs qui auront l'amabilité
de me communiquer les images d'autres lettres
porteuses de timbres annulés qu'ils ont pu croiser !
(en cliquant sur "aucun commentaire")
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