Si, comme moi, vous préférez court-circuiter les files d'attente à la poste pour envoyer vos recommandés, vous avez dû apprécier les bornes automatiques mises à notre disposition depuis quelques temps.
C'est quand même une belle invention comme on dit, quand ça fonctionne...
Et une belle m...., quand elles sont en panne !
En 1909, un inventeur hongrois avait déjà mis au point (ou presque) un "enregistreur automatique pour lettres recommandées", et avait même réussi à convaincre l'administration française de le tester dans un de ses bureaux parisien.
Antal Fodor a ainsi laissé une trace avec son nom dans notre histoire postale, et à sa machine FODOR.
( La Croix - 21 juillet 1909 )
Grace au forum des collectionneurs http://collections.conceptbb.com/ et aux connaissances de ses membres, je me suis procuré une revue de l'époque "L'année scientifique", décrivant minutieusement le véritable mécanisme d'horlogerie de cette machine.
Diabolique ce que pouvait déclencher l'introduction d'une simple pièce de 25 centimes !
Cette somme représentant le montant de la recommandation.
Ce n'était pas simple, vous allez voir...
Les mauvaises pièces étaient rejetées, comme dans d'autres distributeurs, mais grâce à un double contrôle du diamètre et de leur composition métallique, à l'aide d'un aimant !
Une fois reconnue la pièce de 25 c. en nickel, le couvercle de la boîte s'ouvrait et le client pouvait y introduire sa lettre, oui, mais dans le bon sens.
Elle devait être déjà affranchie au tarif de la lettre simple - 10 c. pour la France - 25 c. pour l'étranger. Son poids ne devait pas excéder le poids réglementaire du 1er échelon.
On devait ensuite actionner la manivelle visible sur la droite de la machine, dans le sens de la flèche, ce qui va placer la lettre dans la bonne position.
Une tige vérifie alors la présence effective de la lettre, ce qui déclenche un ressort permettant de l'estampiller, en y apposant un indicatif R de recommandation accompagné d'un numéro à 3 chiffres. Cette marque se retrouvera dans l'angle inférieur gauche de la lettre.
Cette enveloppe montre que Fodor, testant lui-même la machine,
s'était foutu dedans tout seul, en la plaçant dans le mauvais sens :
Jamais si mal servi que par soi-même !
Le même numéro s'imprime également, avec la date, sur un reçu qui a la forme d'un ticket, et qui va tomber dans une sébile à l’attention du client.
Ce reçu porte curieusement au dos les instructions utiles au bon usage de l'enregistreur, alors qu'il est remis à la fin au client, assez débrouillard pour s'en être sorti tout seul.
La lettre tombe finalement dans un compartiment prévu à cet effet, comme la pièce dans sa tirelire.
La revue scientifique parle même d'oblitération réalisée par cette machine, mais l'examen des lettres en question nous permet d'affirmer aujourd'hui que c'est une erreur : la machine était de toute façon bien incapable de deviner la situation du ou des timbres à oblitérer !
Le courrier contenu dans cette boîte magique ayant été récupéré, c'était bel et bien un postier qui devait l'oblitérer manuellement, avec le cachet de la rue Sainte Anne.
Et surtout, il devait en plus auparavant y apposer un timbre à 25 c. correspondant à la somme payée pour la recommandation !
Ce sont donc des courriers assez originaux sur lesquels le timbre représentant le port est fourni par le client, et celui de la recommandation par la poste !
On voit que l'intérêt de ce dispositif était finalement assez mince pour les postiers, alors que le client, lui, évitait le passage au guichet.
Il restait encore :
-à compter les lettres et à s'assurer que l'on récupérait bien autant de fois 25 c.,
-à les peser et à vérifier qu'elles étaient correctement affranchies
-à les oblitérer
-et à les noter sur un registre de suivi !
Ce n'est pas rien, et on comprend que tout cela ne suscitait guère d’enthousiasme chez les postiers.
Sans parler qu'il faut penser à régler la date tous les jours, entretenir la machine, l’approvisionner en encre, en reçus vierges etc...
Ceci est bien expliqué par Paul Lamar dans les "Feuilles Marcophiles" en 1983, dont voici un extrait :
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Evidemment, vous vous en doutez, notre chère Semeuse était une nouvelle fois dans le coup !
Tous les courriers passés par cette machine que je connais, sont affranchis avec notre Semeuse.
Mais ils sont rares.
Voici ceux dont j'ai pu trouver les images :
(merci aux heureux propriétaires ! et s'ils veulent un jour s'en séparer, je me ferai un plaisir de les satisfaire...)
L'article de presse montré plus haut étant daté du 21.07.1909, il n'est pas étonnant que la première date connue soit du 29 juillet, et qu'il s'agisse du numéro 009 :
L'expéditeur est un célèbre négociant philatéliste, éditeur de revue philatélique, et visiblement bien informé !On voit sur cette seconde lettre du même jour, numéro 016, qu'il s'est même amusé à placer volontairement sa lettre à l'envers, pour que son timbre rouge à 10 c. se retrouve oblitéré par la marque de recommandation. Malin, non ?
Deux jours plus tard, le 31 juillet, on en était au numéro 074 :
Les deux suivantes ont l'intérêt de montrer que l'on pouvait tout aussi bien adresser son courrier vers l'étranger, en affranchissant avec 25 centimes, le 3 août pour la Belgique, et le 16 pour la Suisse :
Si le compteur à 3 chiffres n'a pas déjà fait un tour complet, cela fait assez peu : 190 lettres en 6 jours + 602 en 14 jours !
Le bureau de la rue Sainte Anne, proche du Palais Royal et de la poste centrale rue du Louvre, avait peut-être été choisi volontairement pour débuter en douceur cette expérience, qui ne sera pas généralisée...
Cette dernière lettre, datée du 2 octobre, numéro 375 (qui sait s'il s'agit de 1375 ? ou de plus encore), est extraordinaire, car encore accompagnée de son reçu correspondant :
En effet, l'expéditeur dont on devine le cachet ovale
"QUERTANT à Amiens" sous la marque R,
en est également le destinataire : de passage à Paris,
il en a profité pour tester ce système révolutionnaire,
et s'en est envoyé un exemplaire à la maison !
Peut-être même était il philatéliste, et venu exprès dans la capitale ?
OKT avec un K témoignant bien de la fabrication hongroise et non française de l'appareil.
Deux autres reçus m'ont été signalés, portant les numéros 203 du 29 septembre, et 548 du 8 octobre.
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Ça a dû faire le buzz au carré Marigny !...
Elle m'a beaucoup plu, à moi, l'histoire de cette machine infernale, qui aurait rapidement pris fin en décembre 1909 faute de succès, et/ou à cause des problèmes rencontrés, et/ou de l'insatisfaction des postiers. Mais si la date de décembre est citée, c'est que l'on en connait quelques autres, donc...
N'hésitez pas à me faire part de l'existence
d'autres courriers FODOR.
Tous vos commentaires sont les bienvenus !
Merci à mes correspondants pour leur aide !
Merci également à cette adresse :
qui m'a permis d'apprécier un article de Chris HITCHEN sur le sujet.
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