La typographie à plat, utilisée pour la fabrication de la plupart de nos chères Semeuses, avait croyez-moi beaucoup de charmes : on imagine facilement le travail de l'homme, et les attentions qu'il fallait y apporter pour arriver à un résultat parfait , ou presque !
Beaucoup de manipulations étaient encore réalisées manuellement.
Cela ressemblait encore à la grande époque de l'imprimerie !
Les ouvriers de l'atelier de fabrication des timbres-poste devaient être assez fiers de leur boulot à la fin de leur journée ! C'était pratiquement du travail d'artiste, ou même d'orfèvre, qu'ils devaient réaliser quotidiennement !
Les machines demandaient des réglages fréquents, une grande expérience et des gestes précis.
Il fallait en permanence guetter le moindre grain de sable pouvant tout dérégler, contrôler les encres, manipuler les feuilles, surveiller la gomme, les perforations...
Ils ne devaient pas s'ennuyer, ni chômer ces heureux hommes !
Les trois images suivantes vous mettront un peu dans l'ambiance de 1913 +/- :
Et cet extrait de 1875 vous fournira une meilleure description que celle que je pourrais en faire :
Mais comme depuis toujours, en latin comme en français, l'erreur est humaine, il arrivait parfois, malgré toutes les précautions qui étaient prises, qu'un accident survienne.
Une faute d'inattention, ou bien un aléa technique imprévisible suffisait à entraîner un défaut de fabrication. Plus ou moins grave pour eux, et spectaculaire pour nous collectionneurs.
Heureusement, des contrôleurs veillaient au grain, et ils avaient l’œil pour ne pas laisser passer de telles imperfections. Elles ne devaient en aucun cas être mises en vente, mais bel et bien détruites officiellement.
Et bien entendu leurs causes étaient corrigées au plus vite !
Evidemment, comme s'entendait dire Tony Curtis à la toute fin du film "Certains l'aiment chaud" : personne n'est parfait !
Et pour notre plus grand plaisir de philatélistes, certains défauts passaient tout de même entre les mailles des vérificateurs : ce sont nos fameuses variétés.
Celle que je vous présente aujourd'hui est assez sympa :
Il s'agit d'un piquage en diagonale, survenu à cause d'un pliage malencontreux de la feuille, juste avant de passer sous la machine à perforer.
D'où le titre de cet article !
Ce type d'accident touche toujours un coin de la feuille, vous comprendrez aisément pourquoi.
C'est à cet endroit que la feuille avait le plus de chances de se plier.
Ici, c'est le coin inférieur gauche d'une feuille de papier GC qui s'est replié au mauvais moment.
Le papier Grande Consommation, de moins bonne qualité, a été utilisé en raison des restrictions de la première guerre mondiale, de 1916 à 1920 pour ce timbre.
La date du 13 janvier y est inscrite, ainsi que l'initiale D du conducteur responsable de la presse 27.
Il s'agit de ce que l'on appelle une "feuille de droite" reconnaissable à son bord de feuille gauche assez étroit, résultant de la séparation de la feuille initiale de 300 , en deux feuilles-vente de 150 timbres. Les cinq timbres sont ceux des cases 141 à 145.
Spectaculaire certes, mais rien d'extraordinaire cependant me direz-vous !
On en voit assez souvent de ces piquages de traviole : ce n'est pas si rare que ça !
Oui mais voilà :
Je ne vous ai pas tout dit d'un coup.
Ou plutôt pas tout montré !
Je vous avais caché, et gardé le meilleur pour la fin :
J'ai triché un peu, je l'avoue, en vous masquant une partie de cette variété absolument magnifique, et probablement unique !
SURPRISE !
C'est là où j'ai besoin d'un spécialiste en Origami : si le pli principal est bien visible et explique en grande partie le piquage en diagonale, le reste est plus compliqué !
Ce qui est bien entendu extraordinaire, c'est la présence du timbre non dentelé que l'on voit apparaître sur la gauche ! Il s'agit du 150ème et dernier timbre de la feuille voisine, jadis contiguë, dite feuille de gauche.
Suivez-moi bien :
L'impression donnait toujours une feuille de 300, non dentelée, que l'on séparait ensuite en son milieu, pour obtenir deux (demi) feuilles-vente de 150 : une dite de gauche, et une dite de droite, que l'on peut distinguer grâce aux bords latéraux.
Les feuilles de gauche ont un large bord gauche, et celles de droite un large bord droit.
J'ai essayé d'être plus clair à l'aide de ce schéma représentant une feuille de 300 et notre pli principal :
Ensuite venait le gommage, le séchage puis, pour finir la perforation, effectuée de haut en bas, une rangée horizontale de timbres à la fois.
Le pli qui nous intéresse est donc probablement survenu avant que la feuille de 300 ne soit coupée en deux. Sinon c'est peut-être que la fameuse séparation avait été mal faite, un peu trop vers la gauche, laissant apparaître une partie de tous les timbres de la feuille de gauche ???
Et que le pli est survenu ensuite, juste avant la perforation ???
That is the question !
Mon avis penche plutôt pour la première possibilité en raison du petit bout de bord de feuille (étroit) qui figure ici :
Il semble démontrer que la séparation avait été correctement faite, au-dessus du pli !
Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, il existe la trace d'autres plis, moins nets, comme un "froissage" du coin de cette feuille.
Ce qui explique les piquages "de traviole" situés au plus bas à gauche.
La "demi-feuille" de gauche s'est donc retrouvée amputée de son coin inférieur droit, assez peu finalement puisqu'un seul timbre, le 150ème, a été coupé en deux. Elle a très bien pu être ensuite perforée et vendue. Mais il lui manquait un demi timbre...
Notre fragment prouvant que la séparation a bien eu lieu.
Celle de droite, bien qu'un peu pliée dans son coin, et porteuse d'un morceau de timbre de la feuille voisine, a été jugée malgré ça utilisable, et donc dentelée.
Le piquage a été réalisé par-dessus les plis du coin froissé.
Cette feuille-vente de 150, complète (et même un peu plus) en réalité assez peu touchée par l'accident elle aussi, a pu être vendue telle quelle aux guichets.
Heureusement pour nous !
Tout ça pour ne pas trop gaspiller !
Peut-être même (ce serait logique) que les autres pliages du coin de cette feuille ont été réalisés, volontairement ou non, parce que le débord pointu résultant du premier pliage empêchait la feuille de se positionner convenablement dans la machine à perforer ???
C'est là qu'un "origamiste" pourrait m'expliquer cette forme bizarre en "double bec"...
Toujours est-il que la juxtaposition dite "inter-feuilles" d'un timbre non dentelé et d'un autre dentelé est exceptionnelle !
Je vous en avais déjà montré d'autres rares exemples dans un article précédent (en avril 2011).
L'association, comme ici, à une variété de piquage en diagonale suite à un pliage est encore plus étonnante : et absolument UNIQUE à mon avis !
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