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dimanche 27 mai 2018

Encore un P.V.


  Non ! Ce n'est pas ce que je me suis écrié en ouvrant ma boîte aux lettres suite au passage du facteur, et heureusement pour moi !

  Pour tout vous dire, ça fait plus de 5 ans que je prie justement pour ne plus jamais recevoir ce type de courrier, en provenance du ministère de l'intérieur. Et que je fais tout pour, ou presque...

-Depuis le jour funeste où j'ai eu la lumineuse idée d'accélérer quelques secondes en ligne droite sur l'autoroute, sans avoir pris la précaution de m'assurer au préalable de l'absence de radar !
-Depuis que deux sympathiques motards m'ont rattrapé, et qu'ils se sont sentis obligés de me confisquer immédiatement mon permis de conduire, sous prétexte que j'avais fait une brève pointe à 208 !
-Depuis qu'une jolie juge insensible à mon charme comme à mes arguments m'a soulagé de 6 points + 600 euros d'un coup, et que j'ai dû me déplacer durant 6 mois à vélo.
-Depuis que j'espère tenir 3 ans d'affilée sans la moindre infraction pour récupérer mes 12 points.

Mais ce n'est pas tout ! J'ai déjà failli tenir 3 ans.
J'étais of course devenu sage comme une image sur les autoroutes mais, alors que je revenais d'une virée à Saint Tropez, quittant La Môle en direction du col de Gratteloup (ça ne s'invente pas), j'eus la surprise de voir débouler de derrière un buisson, au milieu de la chaussée, non pas un sanglier mais un troupeau de gendarmes à jumelles ! Avec leurs grands gestes, ils m'ont vite fait comprendre que j'allais perdre 3 points de plus, et repartir pour 3 ans de pénitence de plus...

Résultat : même sur la route ou en ville, je suis me suis transformé en modèle de bonne conduite, avec les 3 points qu'il me reste !

Tout ça pour vous expliquer que je suis depuis, devenu un peu allergique aux P.V. !

******
Mais cela ne m'empêche pas d'y prendre toujours le plus grand goût 
lorsque l'on parle de philatélie...

  Témoin cette carte postale, assez banale il est vrai, affranchie avec une Semeuse plus que moche, postée à Angers le 17.09.1920, adressée à Paris par une épouse à son mari , et qui s'est, du coup, retrouvée taxée à 50 centimes :


Pourquoi taxée ? Parce qu'elle est trop vilaine ?
Non, tout de même pas !

Serait-ce parce que le timbre est tout abîmé et perforé ?
Non plus !

Il est cependant exact que les particuliers n'avaient pas "le droit" de se servir pour leur usage personnel des timbres perforés par leur entreprise.

Mais pourquoi alors ?

  Il est probable que l'attention des postiers a été attirée par cette perforation qui n'a pas sa place sur cette CP, mais ils ne pouvaient en aucun cas la taxer pour ce motif.
Pour la bonne raison que la poste n'était en rien perdante dans ces cas-là : c'est l'entreprise qui avait payé le timbre qui y perdait !

  En fait, ils se sont surtout aperçu que le timbre avait peut-être déjà été utilisé, et donc oblitéré, avant d'être recollé sur notre carte, ce qui expliquerait son piteux état !
Là, il y a bel et bien tentative de fraude !

Et ceci est formellement interdit, tout à fait illégal, absolument hors la loi !
Un peu comme mes excès de vitesse...


Comme quoi on pouvait être davantage puni en 1849
 pour avoir réutilisé un timbre usagé,
que pour avoir dépassé le 200 à l'heure en 2013 !

Et pour peu que le timbre ait existé avant, on vous aurait coupé la tête !

  D'où le Procès Verbal du 20.09.1920 qui va avec, dressé par le receveur du bureau Paris 110 de la rue de Rennes, voyant arriver la carte de Madame Daudin, postée lors de son voyage à Angers.
C'est son mari le destinataire, qui a été interrogé et qui s'est vu contraint de la dénoncer !


  Ce Procès Verbal a été adressé au Procureur de la République d'Angers le 24 septembre, comme en témoigne la circulaire N°466 de la Direction des postes du Maine et Loire qui l'accompagne :


  Cela a ensuite conduit à l'interpellation de Madame Daudin ! Elle a été interrogée dès son retour à Paris le 7 octobre, par le commissaire Edouard Murat, qui visiblement ne plaisantait pas avec ça :


  On y apprend :
-le nom de jeune fille de Jeanne Alphonsine,
-l'identité de ses parents,
-qu'elle est française, née à Paris le 3 mars 1886,
-mariée à Ernest le 29 août 1903 avec qui elle a 4 enfants de 13, 11, 8 et 2 ans,
-qu'elle est concierge 34 rue du Dragon (l'adresse de la carte),
-qu'elle n'a pas d'antécédent judiciaire,
-qu'elle sait lire et écrire,
-que son mari mutilé de guerre est employé dans une compagnie d'assurance,
-et qu'ils subviennent à leurs besoins par leur travail !

Or, la perforation C.P. du timbre correspond à la compagnie d'assurance parisienne 
nommée "Le Patrimoine" : ce n'est certainement pas une coïncidence...
Le mari serait-il plus coupable que l'épouse ?

  Au dos de ce document, Jeanne reconnait évidemment avoir adressé cette carte à son époux, mais se défend d'avoir voulu frauder. Pas folle la guêpe ! Et peut-être bien honnête...

Elle prétend que ce timbre lui vient d'un commerçant qui le lui a donné comme appoint de monnaie (comme c'était monnaie courante à cette époque, si je peux oser ce jeu de mots).
Elle l'a conservé dans son porte-monnaie où il s'est retrouvé collé avec d'autres timbres. Elle a donc dû le décoller à la vapeur d'eau, ce qui explique son état.
Jamais il n'avait été oblitéré, elle le certifie, et d'après elle "une simple épreuve établira qu'il n'y a pas d'encre grasse dessus".

Est-ce la vérité ? A vous de juger !
Belle défense en tout cas!
Moi je la crois.
Et j'espère bien que le Procureur, après avoir reçu ce compte-rendu, a abandonné toutes les poursuites envisagées contre elle.

  Du coup, difficile de savoir si ce timbre a oui ou non été réutilisé, comme cela a été inscrit en rouge sur la carte, peut-être un peu prématurément :


  D'ailleurs, au dos de la circulaire 466, un postier plus prudent que les autres avait noté ceci :


Il n'a pas voulu trop se mouiller, lui, et il a bien fait !

  En revanche, l'histoire ne dit pas si ce sont des larmes qui ont coulé sur l'encre de la carte : pourquoi pas celles de Jeanne, apeurée et secouée par son interrogatoire policier ?


  Globalement, on peut dire que les postiers de 1920 étaient aussi consciencieux, efficaces, perspicaces, pointilleux, et procéduriers que les tristes gendarmes obligés de se planquer de  nos jours au bord des routes et autoroutes.
Mais allez savoir pourquoi, je les respecte profondément ces postiers.
Je les remercie d'avoir si bien fait leur boulot.

Alors que les autres...


samedi 26 mai 2018

FODOR - Une boîte aux lettres pour les recommandés, plus que centenaire !


  Si, comme moi, vous préférez court-circuiter les files d'attente à la poste pour envoyer vos recommandés, vous avez dû apprécier les bornes automatiques mises à notre disposition depuis quelques temps.
C'est quand même une belle invention comme on dit, quand ça fonctionne...
Et une belle m...., quand elles sont en panne !
  En 1909, un inventeur hongrois avait déjà mis au point (ou presque) un "enregistreur automatique pour lettres recommandées", et avait même réussi à convaincre l'administration française de le tester dans un de ses bureaux parisien.
Antal Fodor a ainsi laissé une trace avec son nom dans notre histoire postale, et à sa machine FODOR.
( La Croix - 21 juillet 1909 )

Grace au forum des collectionneurs  http://collections.conceptbb.com/ et aux connaissances de ses membres, je me suis procuré une revue de l'époque "L'année scientifique", décrivant minutieusement le véritable mécanisme d'horlogerie de cette machine. 
Diabolique ce que pouvait déclencher l'introduction d'une simple pièce de 25 centimes !
Cette somme représentant le montant de la recommandation.
Ce n'était pas simple, vous allez voir...

  Les mauvaises pièces étaient rejetées, comme dans d'autres distributeurs, mais grâce à un double contrôle du diamètre et de leur composition métallique, à l'aide d'un aimant !
  Une fois reconnue la pièce de 25 c. en nickel, le couvercle de la boîte s'ouvrait et le client pouvait y introduire sa lettre, oui, mais dans le bon sens. 

  Elle devait être déjà affranchie au tarif de la lettre simple - 10 c. pour la France - 25 c. pour l'étranger. Son poids ne devait pas excéder le poids réglementaire du 1er échelon.

  On devait ensuite actionner la manivelle visible sur la droite de la machine, dans le sens de la flèche, ce qui va placer la lettre dans la bonne position.
  Une tige vérifie alors la présence effective de la lettre, ce qui déclenche un ressort permettant de l'estampiller, en y apposant un indicatif  R de recommandation accompagné d'un numéro à 3 chiffres. Cette marque se retrouvera dans l'angle inférieur gauche de la lettre. 

Cette enveloppe montre que Fodor, testant lui-même la machine, 
s'était foutu dedans tout seul, en la plaçant dans le mauvais sens :

Jamais si mal servi que par soi-même !

  Le même numéro s'imprime également, avec la date, sur un reçu qui a la forme d'un ticket, et qui va tomber dans une sébile à l’attention du client.

Ce reçu porte curieusement au dos les instructions utiles au bon usage de l'enregistreur, alors qu'il est remis à la fin au client, assez débrouillard pour s'en être sorti tout seul.

  La lettre tombe finalement dans un compartiment prévu à cet effet, comme la pièce dans sa tirelire.

  La revue scientifique parle même d'oblitération réalisée par cette machine, mais l'examen des lettres en question nous permet d'affirmer aujourd'hui que c'est une erreur : la machine était de toute façon bien incapable de deviner la situation du ou des timbres à oblitérer !

  Le courrier contenu dans cette boîte magique ayant été récupéré, c'était bel et bien un postier qui devait l'oblitérer manuellement, avec le cachet de la rue Sainte Anne. 
Et surtout, il devait en plus auparavant y apposer un timbre à 25 c. correspondant à la somme payée pour la recommandation !
Ce sont donc des courriers assez originaux sur lesquels le timbre représentant le port est fourni par le client, et celui de la recommandation par la poste !

  On voit que l'intérêt de ce dispositif était finalement assez mince pour les postiers, alors que le client, lui, évitait le passage au guichet.
Il restait encore :
-à compter les lettres et à s'assurer que l'on récupérait bien autant de fois 25 c., 
-à les peser et à vérifier qu'elles étaient correctement affranchies 
-à les oblitérer 
-et à les noter sur un registre de suivi ! 

  Ce n'est pas rien, et on comprend que tout cela ne suscitait guère d’enthousiasme chez les postiers.
Sans parler qu'il faut penser à régler la date tous les jours, entretenir la machine, l’approvisionner en encre, en reçus vierges etc...

Ceci est bien expliqué par Paul Lamar dans les "Feuilles Marcophiles" en 1983, dont voici un extrait :


**********

  Evidemment, vous vous en doutez, notre chère Semeuse était une nouvelle fois dans le coup !
Tous les courriers passés par cette machine que je connais, sont affranchis avec notre Semeuse.
Mais ils sont rares.

Voici ceux dont j'ai pu trouver les images :
(merci aux heureux propriétaires ! et s'ils veulent un jour s'en séparer, je me ferai un plaisir de les satisfaire...)

  L'article de presse montré plus haut étant daté du 21.07.1909, il n'est pas étonnant que la première date connue soit du 29 juillet, et qu'il s'agisse du numéro 009 :
 L'expéditeur est un célèbre négociant philatéliste, éditeur de revue philatélique, et visiblement bien informé !

On voit sur cette seconde lettre du même jour, numéro 016, qu'il s'est même amusé à placer volontairement sa lettre à l'envers, pour que son timbre rouge à 10 c. se retrouve oblitéré par la marque de recommandation. Malin, non ?

  Deux jours plus tard, le 31 juillet, on en était au numéro 074 :



  Les deux suivantes ont l'intérêt de montrer que l'on pouvait tout aussi bien adresser son courrier vers l'étranger, en affranchissant avec 25 centimes, le 3 août pour la Belgique, et le 16 pour la Suisse :



Si le compteur à 3 chiffres n'a pas déjà fait un tour complet, cela fait assez peu : 190 lettres en 6 jours + 602 en 14 jours !

Le bureau de la rue Sainte Anne, proche du Palais Royal et de la poste centrale rue du Louvre, avait peut-être été choisi volontairement pour débuter en douceur cette expérience, qui ne sera pas généralisée...

  Cette dernière lettre, datée du 2 octobre, numéro 375 (qui sait s'il s'agit de 1375 ? ou de plus encore), est extraordinaire, car encore accompagnée de son reçu correspondant :

En effet, l'expéditeur dont on devine le cachet ovale 
"QUERTANT à Amiens" sous la marque R
en est également le destinataire : de passage à Paris, 
il en a profité pour tester ce système révolutionnaire, 
et s'en est envoyé un exemplaire à la maison ! 
Peut-être même était il philatéliste, et venu exprès dans la capitale ?


 Sur ce reçu, soigneusement conservé par sa femme, on voit assez bien la date et le numéro correspondant 375, séparés par une barre verticale :

OKT avec un K témoignant bien de la fabrication hongroise et non française de l'appareil.

Deux autres reçus m'ont été signalés, portant les numéros 203 du 29 septembre, et 548 du 8 octobre.

*******



Ça a dû faire le buzz au carré Marigny !...

  Elle m'a beaucoup plu, à moi, l'histoire de cette machine infernale, qui aurait rapidement pris fin en décembre 1909 faute de succès, et/ou à cause des problèmes rencontrés, et/ou de l'insatisfaction des postiers. Mais si la date de décembre est citée, c'est que l'on en connait quelques autres, donc...

N'hésitez pas à me faire part de l'existence 
d'autres courriers FODOR.
Tous vos commentaires sont les bienvenus !
Merci à mes correspondants pour leur aide !

Merci également à cette adresse :
qui m'a permis d'apprécier un article de Chris HITCHEN sur le sujet.

lundi 21 mai 2018

Saint Pierre et Miquelon - 1925


  Je ne sais pas vous, mais moi, ces îles perdues de l'Atlantique Nord, françaises depuis le XVIII ème siècle, m'ont toujours intrigué, et un peu fait rêver !



Moins que les Marquises certes, mais tout de même un peu...

Probablement à cause de leur éloignement, et de l'histoire de ces aventuriers de "la grande pêche", établis là-bas, si loin de chez eux, sur ces petits bouts de France, pourtant assez inhospitaliers.

Jetez donc un œil à cette description datant de 1925 :

http://grandcolombier.com/2008/09/28/1925-saint-pierre-et-miquelon/

...qui se termine ainsi :

Et pourtant, sur ce Rocher, perdu parmi les vastes possessions britanniques, à mille lieues de Paris, une pléiade de vaillants marins à la foi profonde et au cœur fidèle, monte la garde autour du drapeau tricolore, et, seule dans son splendide isolement, maintient avec constance le prestige du nom français !

Rêver oui, mais certainement pas à cause de toutes les productions philatéliques qui y fleurissent depuis des décennies, et qui sont pour moi sans aucun intérêt !...


  A l'époque de notre Semeuse, Wikipédia nous apprend qu'après la morue, ce sont les boissons alcoolisées qui en ont fait la richesse, avec en premier lieu notre Champagne national :

Le timbre et la photo d'époque :

Pendant la seconde moitié du xixe siècle, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon connaît un essor économique important grâce à la pêche à la morue.
L'archipel a ensuite un certain rôle lors de la prohibition aux États-Unis puisque du fait de son statut de colonie française, la loi américaine n’y est pas applicable. L'île connaît, de 1919 à 1933, une réelle prospérité grâce au trafic d’alcools, de vins français et de whisky, acheminés clandestinement sur les côtes canadiennes et américaines par des goélettes ou des vedettes rapides construites au Canada et montées par des Saint-Pierrais. 
Jusqu'en 1933, date où la prohibition est levée, jusqu'à 300 000 caisses d'alcool passent par an dans l'archipel. Le bois des caisses d'alcool abandonnées sert de combustible et à la construction de nombreuses maisons, parmi lesquelles la villa Cutty Sark, entièrement réalisée à partir de caisses de whisky éponymes. Dans les années 1970, on pouvait encore voir à Saint-Pierre, un hangar bardé des planches de caisses d'alcools, de champagnes français.
Les marins de Terre-Neuve recevaient les boissons alcoolisées en caisses. Ils les transféraient dans des sacs de jute et récupéraient le bois. En cas d'interception d'un bateau contrebandier par les garde-côtes américains, il suffisait de jeter les sacs à la mer par le bord du navire opposé à celui vers lequel avançaient les forces de police. Les sacs coulaient instantanément. Lorsque l'équipage de contrôle embarquait, il n'y avait plus trace de la fraude partie vers les grands fonds. La cargaison était perdue, mais cela évitait aux contrevenants d'aller croupir en prison. Le risque d'être ainsi arraisonné faisait partie des frais de l'expédition et justifiait le prix ahurissant que payaient les destinataires. Ceci expliquait aussi la prolifération de boissons contrefaites peut-être moins chères que celles provenant vraiment d'Europe.  

*****

Les fabuleux films de ma jeunesse sur la prohibition aux U.S.A. me reviennent en mémoire : en particulier les incorruptibles avec Eliot Ness et Al Capone
Un bar de SPM expose d'ailleurs encore de nos jours un chapeau qui aurait appartenu au plus célèbre des bandits américains, en hommage à celui qui en a enrichi plus d'un à l'époque...

*****
   Ceux qui me lisent connaissent certainement ma prédilection pour le timbre YT 140, le fameux 25 c. bleu au type Semeuse.
Ils comprendront donc que cette jolie lettre ait terminé son parcours dans ma collection, après avoir pour mon plus grand bonheur, retraversé l'Atlantique en sens inverse :

  Partie de Charente inférieure le 12 juin 1925, à la recherche d'un passager du 3 mats "Miquelon" appartenant à l'une des sociétés pêchant la morue au large de SPM., elle y est parvenue le 2 juillet comme en atteste le cachet, pour une fois visible au verso !

Mais est-elle bien parvenue jusqu'à son destinataire ?
L'histoire ne le dit pas : pas moyen de retrouver trace de ce 3 mats, qui est peut-être l'un des nombreux navires à s'être échoué au large...
L'un d'entre vous en sait-il plus ?




  A propos de voyage en sens inverse, je ne peux m'empêcher de vous montrer aussi cette autre lettre qui fait magnifiquement la paire avec la précédente :


  Elle est à mon avis assez rare également, car d'après internet, il y avait environ 4000 habitants à SPM dans les années 20, dont la correspondance était certainement le seul lien avec la métropole, mais pour qui les bateaux vers la France ne devaient pas passer tous les jours...

  Partie le 14 avril 1925 à destination d'un laboratoire parisien, l'histoire ne dit pas sur quel navire elle a voyagé, et aucun cachet d'arrivée hélas ne figure au verso.
L'un de nos lecteurs pourrait-il nous renseigner ?


  A mon avis, l'expéditeur passait sa commande régulièrement auprès du labo : quelques boites d'antidépresseurs et tubes de somnifères.

Car même en étant très bien approvisionné en alcool pour se les réchauffer, la vie ne devait pas être rigolote tous les jours à Saint Pierre, et le temps passé à se les compter devait être bien long, faute de pouvoir se taper une bonne morue...


mardi 1 mai 2018

Faux timbre - Vraie enquête internationale !


  Au printemps 1923, tout le sud-est de la France est en émoi : depuis quelques temps, une grande quantité de faux timbres à 25 centimes a été mise en circulation, et notre Semeuse préférée défraye la chronique !

Faux de Marseille, dit de Nice

  La poste est en alerte rouge.
Elle a mis longtemps à s'en apercevoir, mais après plusieurs mois d'escroquerie, le faux est à présent repéré sur beaucoup de courriers qu'elle voit passer, et qu'elle inspecte plus attentivement.
Presque tous sont originaires de la région de Nice ou de Marseille, et les postiers du coin doivent faire face à un surcroît de travail énorme.
Fini pour eux, l'apéro au soleil !

  Chaque courrier affranchi avec un faux, et reconnu comme tel, donnait lieu à un procès-verbal, et j'imagine que les expéditeurs devaient être un peu inquiétés : on ne plaisante pas avec ça...
Lorsqu'on arrivait à les identifier, et à les retrouver bien entendu.

  Pratiquement un siècle plus tard, tous ces courriers sont recherchés !
Témoins d'une époque formidable...

Certains ont circulé "comme une lettre à la poste" surtout en 1922, surtout avant que le faux ne soit reconnu. Le timbre est alors normalement oblitéré.




Cette lettre, unique à mon avis, a même été recommandée !!!
Comme quoi, en octobre 1922, le faux passait encore inaperçu même aux bureaux de la poste.
Une merveille :


 Les autres courriers ont été taxés et/ou saisis par la poste à l'époque, et ont fini par se retrouver sur le marché philatélique, puis dans les albums des collectionneurs.
Pas d'oblitération des timbres dans ce cas-là.

La plupart sont des lettres pour la France, puisque le tarif était de 25 c.


Mais on en voit aussi, plus rarement, sur des lettres pour l'étranger, dont le tarif était de 50 c.


Souvent y figure la mention manuscrite en rouge "Timbre poste contrefait", et/ou un numéro en noir.

**************
  La carte que je vous présente ici, a le triple intérêt :
- d'être une carte postale, ce qui est bien moins courant qu'une lettre du fait du tarif des CP,
- d'être adressée vers l'étranger,
- et d'être accompagnée de son procès-verbal, ce qui est exceptionnel !


Voici son histoire :

  Marie et Rachel, deux touristes belges en vadrouille sur la Riviera avec leur famille, ont cru bien faire en achetant des timbres dans un bureau de tabac niçois.
Et en affranchissant scrupuleusement, au bon tarif, la jolie CP destinée à une amie à elles, devenue veuve, et restée dans le froid et la brume de Bruxelles...
On croirait même les entendre :
"Elle va être verte de rage la Pauline, quand elle va savoir qu'on se dore la pilule à Nice, pendant qu'elle se les gèle à la maison !"

  Ce sont en effet des buralistes plus ou moins honnêtes du sud-est qui ont ainsi débité, ou plutôt recelé, des milliers de faux timbres achetés à des particuliers, des faussaires.
C'est ce qu'on apprendra à la fin de 1923, lorsque des perquisitions furent menées après enquête policière.

  Enquête qui a peut-être bien débuté par l'interrogatoire de notre veuve belge, croyez-le ou non !...

Le bureau niçois qui reçoit notre CP le 17 mars 1923, s'aperçoit que le timbre à 25 c. est un faux.
Les 4 lettres taxées montrées ci-dessus sont toutes également datées de la mi mars, ce qui prouve que les postiers des Alpes Maritimes étaient plus qu'en alerte...

Voici le formulaire établi le 19 mars par le bureau Nice - quartier de la gare :

On y retrouve le numéro 414 - D figurant sur notre carte

  Comme cela y est précisé en bas, un des trois exemplaires en a été réglementairement transmis aux autorités belges, avec la carte en question.

  Les postiers de Schaerbeek ont pris la peine, une semaine plus tard, de convoquer et d'entendre dans leurs bureaux la veuve en question.
Incroyable, non ?

  Et celle-ci n'a alors pas eu d'autre choix que de dénoncer sa copine Marie comme étant l'expéditrice de la carte ! Voici le procès-verbal de son audition :


Vous l'entendez la veuve ?
"Ça lui apprendra une fois, à la Marie, de me narguer avec ses cartes postales ensoleillées. J'ai autre chose à faire moi, une fois. Je bosse pendant qu'elle se promène sur la Côte d'Azur, et en plus, elle est tellement radine qu'elle achète des faux timbres, une fois !"

Et pas deux ! La carte a été "retenue provisoirement" par la poste belge, qui l'a ensuite transmise à ses collègues de France.

 Possible aussi que l’hôtel Beau Rivage ait vu débarquer les enquêteurs de la poste ou de la police, afin d'interroger la Marie, afin de savoir où elle s'était procuré ce faux timbre.
A moins que les belges n'aient attendu son retour au pays pour le faire ?

Peut-être est-ce donc notre Marie qui a permis d'identifier le revendeur, et ensuite d'interpeller les faussaires ? L'histoire ne le dit pas...

Mais c'est un beau roman, une belle histoire...