Le dessin original de la Semeuse par Oscar Roty avait donné naissance en 1903 aux timbres de la première série dite "Semeuse lignée", dont le chef de file correspondant au tarif de la lettre simple était le 15 centimes vert.
Timbre mythique, resté depuis dans les annales, car étant le premier au type Semeuse a avoir été émis, le 2 avril 1903.
Le changement des tarifs postaux ayant ramené quelques années plus tard à 10 centimes le coût de l'affranchissement de la lettre simple, et pour marquer le coup comme l'on dit, la Semeuse a dû perdre (pour plaire mieux) son fond ligné ainsi que son soleil, pour se retrouver les pieds bien sur terre, et la Semeuse avec sol a finalement été émise le 13 avril 1906 :
L'esthétique de ce timbre ne donna pas entière satisfaction, malgré deux tirages, et de légères retouches dont le but était de mieux faire ressortir la silhouette de notre chère Semeuse.
Il ne restera pas longtemps à la vente. Le ministre n'était pas content !
On tenta alors à tout prix de le satisfaire, allant même jusqu'à faire changer le soleil de place, c'est vous dire !...
On lui proposa un tout nouveau dessin, fort peu réussi d'ailleurs, et heureusement resté à l'état d'essai, faisant figurer le soleil non plus derrière, mais devant la Semeuse, afin que les ombres soient respectées. Ceci n'était pas le cas sur la Semeuse lignée, et avait déjà fait couler beaucoup d'encre ! Sans parler du fait qu'elle sème contre le vent, ce qui est déjà une aberration pour n'importe quel agriculteur !
Pour permettre au ministre de bien comparer, cette Semeuse avec soleil devant a été imprimée sur des feuilles mixtes, associée à celle qui reposait sur un sol (deux panneaux superposés de 50 timbres de chaque sorte), ce qui nous a laissé de très spectaculaires et assez rares paires verticales :
A noter que ces fameuses feuilles ont été imprimées dès le 7 avril, c'est à dire 6 jours seulement avant l'émission ! Il faut croire que la controverse battait alors son plein, et que les décisions se prenaient dans l'urgence à quelques jours du nouveau tarif... Ce qui n'est jamais bon, d'ailleurs.
Ce fut ensuite le sol qu'on a décidé de supprimer.
Ceci donna naissance (heureusement pour nous philatélistes) à de très rares essais, bizarrement appelés Semeuse avec sol sans le sol :
Le résultat était cette fois-ci assez convainquant, mais une chose contrariait encore les décideurs de l'époque : le téton qui dépasse !
En reluquant d'un peu plus près la poitrine de notre Semeuse, certains vicieux se sont en effet imaginés qu'elle semait torse nu (idée bien saugrenue), ou bien que son sein gauche s'était échappé de son corsage, pointant fièrement droit devant elle !
Même avec l'esprit mal tourné, il faut beaucoup d'imagination pour trouver la moindre ressemblance avec un bout de sein ! Ils ne devaient pas en voir tous les jours sur la plage à l'époque !
Il existe même dans les archives, un courrier officiellement offusqué du ministre, demandant la suppression de ce "téton" déshonorant pour notre effigie nationale !...
Peu de philatélistes le savent, même s'ils passent des journées à regarder à la loupe des milliers de timbres au type Semeuse, depuis un siècle !
On imagine bien le pauvre graveur, sûrement sollicité dans l'urgence, en train de faire disparaître cette partie du poinçon, uniquement pour satisfaire les lubies ministérielles !
Cette dernière gravure, maigre, a elle aussi été retouchée dans l'urgence, d'ou deux types de timbres là encore : les premiers mis en vente paraissaient sans relief, et leur vente a dû être stoppée en catastrophe le jour même. Les seconds, retouchés et émis un peu plus tard, ne sont pourtant guère mieux !
Semeuse maigre !... Non pas qu'on lui ait, en plus de ça, imposé un régime, mais ainsi nommée car les inscriptions du timbre sont faites de caractères biens plus fins que sur les émissions suivantes. Emissions à partir de 1907 qui ont pu quant à elles, être désignées sous le terme de "Semeuse grasse" (ou Semeuse camée, ce que nous avons déjà vu).
Toute cette histoire (et ce n'est pas fini...) nous permet cependant d'apprécier le mal que se donnait alors La Poste pour créer un timbre ! Le succès et la longévité de notre Semeuse viennent probablement en partie de cette attention qu'on lui portait.
L'administration actuelle ferait bien de s'en inspirer, et de méditer sur les exemples, parfois comiques, que lui ont laissés ses prédécesseurs...