Une bonne partie de ma collection est consacrée aux courriers avec RETOUR A L'ENVOYEUR postés à destination de l'étranger, grâce auquel ma chère Semeuse a parfois traversé la planète pour finalement revenir à son point de départ, sans avoir pu mener à bien sa mission.
Et je suis toujours à la recherche de certains pays lointains ou exotiques.
Les raisons pour lesquelles les destinataires n'ont pu être trouvés sont diverses : un défaut ou un changement d'adresse, un décès, la guerre, un accident, une erreur dans l'acheminement etc...
Bien entendu, plus le lieu de destination est petit et reculé, plus ça m'intéresse. Mais je suis à présent assez avancé, et cela fait quelques temps que je n'en trouve plus qui me fassent vraiment plaisir.
Pourtant, cela m'est arrivé récemment, en tombant sur cette lettre :
A destination de l'île de Malte, c'est déjà assez original. Affranchie avec mon timbre préféré. Et en pleine guerre mondiale. Cela aurait suffi à mon bonheur. Que je me suis offert pour quelques euros.
J'avais bien vu les ratures, les mentions manuscrites : tout ce qui me plait pour m'amuser à retracer le parcours de ces lettres. et le seul cachet d'arrivée au dos, de Bizerte en Tunisie.
Mais son originalité réside en fait dans le destinataire car il n'y en a pas vraiment !
L'expéditeur l'a postée, un peu comme on jette une bouée à la mer, pour essayer de contacter un des passagers ayant survécu au naufrage d'un navire, l'Amiral Hamelin :
Quelques clics sur Google m'ont permis de retracer ce triste épisode de la guerre :
un combat entre un sous marin ennemi et ce bateau chargé de militaires parti de Marseille avec à son bord 306 artilleurs qui vont à Salonique renforcer les 17e et 23e régiments d’artillerie et le 2e groupe d’aviation. L’équipage comprend 48 hommes.
Le cargo a aussi embarqué dans ses cales 2000 obus de gros calibre, 15000 coups de 75, et 2 millions de cartouches de fusils et mitrailleuses. Il fut torpillé et coulé en Méditerranée le 7 octobre 1915 à 170 miles au sud-ouest de la Grèce :
La lettre étant partie de Paris le 15 novembre, il est fort probable que celui qui l'a écrite venait tout juste d'apprendre la catastrophe, et s'inquiétait pour un membre de sa famille ou une connaissance qui se trouvait à bord !
Du coup mon enveloppe prend un caractère historique et émouvant, ce qui n'est pas pour me déplaire.
D'autant plus qu'elle contient encore son courrier, vieux de plus d'un siècle
On peut y lire que le commissaire priseur parisien Albert Delvigne souhaitait connaître les circonstances de la disparition de son cousin, le soldat Charles CADOT, âgé de 17 ans :
Est-il mort en mer ou à Malte ? Y est-il enterré ?
A t'il été noyé ou tué ?
Et on apprécie mieux que les services postaux se soient donné bien du mal pour essayer de trouver un de ces survivants.
Merci à ce site qui m'a fourni beaucoup de renseignements :
C'est un navire hôpital anglais, le Dunluce Castle qui a recueilli les blessés au nombre de 49, et qui les a acheminés à Malte dès le lendemain.
D'où la destination de ma lettre. L'expéditeur avait donc dû en être informé.
Dans ce drame 6 hommes d’équipage et 55 militaires ont péri, mais 293 hommes ont tout de même pu être sauvés.
L'équipage fut mis en subsistance sur un autre navire, le Tourville (mentionné en violet en bas à droite).
On peut aussi lire sur l'enveloppe, les mentions
"Tous les survivants rapatriés"
et sur la gauche "Rescapés rapatriés Voir Bizerte"
Le courrier a donc terminé son chemin à Bizerte en Tunisie où j'ai appris que des blessés avaient été pris en charge dans l'hôpital maritime voisin de Sidi Abdalah (également mentionné sur la droite).
Mais tous ces recherches furent vaines, et la lettre sera finalement retournée vers la métropole : mention violette "Service guerre Paris".
C'est sur cet autre site : lien que j'ai pu retrouver le nom de Charles Cadot qui figure bien hélas sur la liste des disparus, mais sans que l'on ne sache précisément ce qu'il est devenu, renseignements que cherchait à obtenir l'expéditeur de ce courrier, pour qui notre bienveillante Semeuse, malgré toute sa bonne volonté, n'a rien pu faire.