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samedi 25 mars 2023

Autour des carnets Virgile Chareyre (suite)

 

  Je vous avais annoncé l'été dernier la révélation de documents inédits concernant l'émission de ces jolis carnets, et puis les mois ont défilé, mais voici le temps venu, enfin !

J'ai eu la chance de mettre la main sur des dizaines de documents : factures, lettres et livres de comptes, dont l'étude m'a permis d'en apprendre de belles !...

  Dans un premier temps, l'administration a proposé à Chareyre 10000 carnets "de luxe" de 10 timbres à 50 c. au tarif de 1 franc 20 la couverture.

Puis la société négocie 25000 couvertures à un franc pièce, mais uniquement 10000 carnets, qu'elle souhaite de 10 timbres à 25 c. ce qui lui sera refusé, tout comme le nouveau timbre prévu à l'effigie de Jeanne d'Arc.

Et ensuite, l'administration passe la balle à Carlos Courmont pour les négociations.

   Voici tout d'abord le contrat signé le 16 octobre 1928 entre l'administration, Courmont, et la fameuse société ardéchoise :


26 500 francs pour 6000 couvertures à 50 c. et 3000 à 15 c.
Pratiquement 3 francs pièce !
Mais il n'y est pas question des couvertures vides...

  En réalité il n'a pas été respecté à la lettre, et après de longues et croustillantes discussions, le tirage fut respectivement de 8400 et 4320 carnets

Mais on apprend qu'il y eut  un total de 29 000 couvertures imprimées, dont Carlos ne fait pas mention dans le contrat que devait viser l'administration ! 
Le surplus de celles-ci devait être distribué pour une moitié vides, et avec des vignettes publicitaires à l'intérieur pour l'autre moitié. Leur prix a été habilement négocié et Chareyre les a finalement payées 29826,50 francs.

Il y eut aussi 8114 feuillets de 20 vignettes, qui lui ont coûté 730 francs (dont 160 francs d'agrafage). Il aurait bien voulu que ces vignettes soient dentelées et gommées, mais on comprend bien que l'administration ait refusé, les rendant du coup inutilisables, contrairement à celles imprimées sur la partie gauche des carnets qui pouvaient être détachées et collées sur les courriers !  

Du coup, elles sont restées agrafées bêtement dans des couvertures :


  On apprend à la lecture de ces échanges qu'il y a eu des fuites, un certain nombre de carnets (250) n'ayant pas été livrés au client, mais bel et bien détournés par Courmont ! C'est Maurice Digeaux, le célèbre négociant, qui vend la mèche.

  La société a payé finalement pour les timbres de 8275 et 4195 carnets soit 47667,50 francs.

  Le peintre M. Ageron fut rétribué 1500 francs pour ses aquarelles ayant servi de modèles.

Beaucoup des carnets reçus par la société furent ensuite vendus à des philatélistes par l'intermédiaire de Digeaux, alors qu'ils avaient été commandés pour être distribués gracieusement, soit entiers, soit découpés, aux clients de la société dans un but de propagande commerciale. "...de la même façon qu'avaient procédé les Grands Magasins du Louvre" :


  Courmont avait donc fini par proposer à l'entreprise cette formule luxueuse des carnets dits "privés" contenant 10 timbres et 10 vignettes, qui ne passaient jamais par les guichets de La Poste, et ce pour le prix d'un franc par couverture :


Il fallait bien financer sa publicité à lui, qu'il publiait lui-même :


Ou bien qu'il faisait publier dans les magazines :





 Car on connait ses tarifs pour les carnets "normaux" destinés à être vendus par La Poste, qui sont bien inférieurs, et pour des quantités bien plus importantes :

(novembre 1925 / janvier 1927 / janvier 1929)

  La commercialisation des carnets "privés" représentait donc une belle source de revenus pour Courmont, qui profitait de ses bons rapports avec l'administration. Une poule aux œufs d'or ! 

Mais celle-ci y trouvait également son compte avec la vente des timbres, et surtout avec les 20% du montant brut des contrats de publicités que Courmont lui devait selon les termes de son contrat d'exclusivité !


Cependant, les faibles tirages et les particularités de ces carnets "privés" vont attirer les philatélistes et les négociants. D'où une franche spéculation, qui conduira à leur interdiction en 1929, juste après la mise en circulation de ceux de Chareyre.

D'ailleurs, Raoul, l'administrateur de la société en charge de l'affaire (qui était philatéliste !) l'annonçait en exclusivité le 18 février 1929 à Louis Neury, un négociant de la Haute Marne qui lui demandait s'il avait prévu un nouveau tirage :

(en réalité, le presse philatélique était au courant fin 1928)

  Le même Raoul était furieux que certains de "ses" carnets aient été détournés et se soient retrouvés dans le commerce avant que lui ne le fasse à son tour, et je suis même convaincu que ce ne sont ses plaintes auprès de Courmont et de l'administration qui ont conduit à la fin des carnets "privés". 

Il lui en voulait beaucoup et ira même jusqu'à menacer de ne pas le payer.

Voici une réponse assez peu courtoise de Courmont aux plaintes de Raoul, alors qu'initialement leurs échanges étaient très polis. Le ton monte :

"Je ne serai pas la dupe de vos arguties" dit Carlos

"faux, faux, non" inscrit Raoul dans la marge !


  Courmont finira ensuite par proposer à Raoul de lui rendre les 250 carnets manquants, mais en les lui facturant !

  Raoul, ayant ainsi obtenu l'aveu de détournement de la part de Carlos, confirmée par une attestation de l'administration, décidera de les lui laisser, grand seigneur :

(à noter qu'il s'agit de la seule lettre manuscrite de Raoul De Lamonta)

Et pour clôturer près de 6 mois d'échanges, satisfait d'avoir eu le dernier mot, il joindra à son paiement cette note assez sèche et non signée "pour solde de tout compte", avec des salutations qui, pour la première fois, ne sont plus cordiales du tout !


*****

  Tout frais compris, les carnets  auront coûté à la société 77393 francs, ce qui représente de nos jours environ 43000 euros.

Et la société en a bien utilisé une partie pour mettre en valeur ses produits durant plusieurs années :


Même si beaucoup sont allés rejoindre les albums des collectionneurs.



lundi 6 mars 2023

Retournons donc à l'atelier du boulevard Brune !

  

 Grâce à Gallica, je vous avais fait découvrir il y a quelques années de magnifiques images du début du XXème siècle, où l'on pouvait voir les différentes machines utilisées pour la fabrication de mes chères Semeuses.

  Toujours en fouillant sur internet, je suis tombé sur le site des bibliothèques patrimoniales de Paris, qui a eu la bonne idée de numériser de jolis documents. 

On y trouve de superbes images des plans et des dessins de l'architecte chargé de bâtir entre 1892 et 1894 cet édifice aujourd'hui disparu,  que je m'empresse de vous montrer même si la Semeuse n'y était pas encore née :



(cliquez sur les images pour zoomer)

Ainsi que ces quelques vues inédites des différents postes de travail :





*****

  J'ai déniché également une revue intitulée "La revue du bureau" qui traite de sujets très divers et intéressants. Dans le numéro de janvier 1934, on trouve un article bien documenté sur la fabrication des timbres, qui ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà, mais qui est accompagné de belles photographies.

J'ai choisi de vous montrer ces deux-là qui concernent l'impression et la fabrication des carnets rotatifs :

   Ici, on voit nettement l'impression des carnets sous la forme d'une bobine de papier (déjà gommé) qui va, au sortir de la presse, parcourir un trajet vers le plafond pour donner à l'encre le temps de sécher, avant de revenir vers le bas et d'être rembobinée, sous le contrôle d'un opérateur attentif dont on aperçoit le genou et la main au premier plan :

   Et voici la machine servant ensuite  à confectionner les carnets, en assemblant une bobine de timbres et une bobine de couvertures, collées l'une à l'autre et pliées en leurs milieux, puis savamment découpées pour donner de jolies liasses de carnets de 20 timbres à la sortie, que le jeune homme empile :


Sur cette image du bulletin des postes de la même année, déjà montrée, on voit l'autre extrémité de la machine, là où arrive la bobine de couvertures :


Les connaisseurs me feront à juste titre remarquer qu'en 1934, l'atelier ne produisait plus de carnets au type Semeuse, mais je les aime tout de même beaucoup ces images !

 *****

  Sur cette dernière, on peut voir le soin apporté aux cylindres alimentant les presses rotatives, mais mon œil ne me permet pas d'identifier le ou les timbre(s) qu'ils pouvaient imprimer (sous la forme de feuilles cette fois-ci) : 


Les parallélogrammes séparant 2 des 4 galvanos de chaque cylindre y sont bien visibles :


Et on les retrouve dans les marges en haut et en bas des feuilles imprimées :


NB : ces cylindres destinés aux feuilles rotatives de 100 timbres mesuraient 168 mm de diamètre, ce qui peut être vérifié là où l'ouvrier pose sa main.

   Et, SURPRISE, en zoomant sur le 4ème cylindre, devinez qui on voit après avoir un peu bidouillé informatiquement l'image remise en position horizontale : on dirait bien que c'est mon omniprésente Semeuse, prête à être imprimée !



Deux de ces images avaient déjà été aperçues dans un article de Paris Soir du 11.10.1932 consacré au type Paix, mais leur définition était nettement moins bonne. Elles n'ont donc pas été prises en 1934. 


Je ne m'en lasse vraiment pas de ces images !


mercredi 1 mars 2023

Trouvaille surprise sympa !

 

  En philatélie, après quelques décennies consacrées au même sujet, il arrive encore que l'on fasse des trouvailles, et heureusement !

En revanche, question surprises, on en a souvent des mauvaises, ça oui, mais les bonnes, il faut bien avouer qu'elles ne se bousculent pas au portillon...

Alors, je voulais vous parler de cette Semeuse tellement courante que personne ne s'y intéresse : celle à 15 c. brun avec pré oblitération. On la trouve partout, neuve en grand nombre et en bon état, ou bien utilisée sur divers courriers commerciaux, car sa vie a été longue, avec de nombreux tirages rotatifs.

ATTENTION ! Je parle de celle dont la surcharge a été apposée par la même rotative qui imprimait les timbres, et dans le même temps. Pas de celle dont la surcharge a été imprimée à plat sur quelques très rares feuilles du timbre déjà imprimé en rotatif, comme celle-ci :

                               

Une rareté, vue sur internet, dont pourtant personne ne veut !


  L'autre, la plus courante, a été imprimée de à l'aide de 19 cylindres différents, entre 1925 et 1938 : rien de rare donc.

Cependant, deux de ces tirages sont rares, et c'est  un plaisir d'en trouver des coins datés pour le grand amateur que je suis.

celui-ci l'est particulièrement, avec cette jolie paire de coins datés AI + AI :

Planche AI+AI

Premier jour

Dernier jour

Chiffres

Presse

2 tirage

 

25.11.35

---

II

8

(jamais vu d'autre)

J'ai eu la chance de les acquérir auprès de Monsieur Georges Monteaux quand j'étais jeune,  provenant de la collection de Monsieur Duponchel, deux grands amateurs hélas disparus !


- celui-là l'est un peu moins, mais on ne lui connait que 2 jours de tirage :

Planche AT+AU

Premier jour

Dernier jour

Chiffres

Presse

Tirage

 

17.3.36

18.3.36

I

6


Par ailleurs, comme le timbre isolé n'a que peu ou pas de valeur marchande, on peut en trouver assez facilement des feuilles entières. Sans grand intérêt, mais ça me plait les feuilles entières.

Aussi me suis-je offert celle-ci pour quelques euros :



  Ce n'est qu'à sa réception que j'ai eu l'heureuse surprise de constater que non seulement elle était issue du fameux cylindre AT+AU, ce qui en fait déjà une rareté, mais qu'en plus elle était datée du 19 mars 1936, preuve que le tirage avait duré 3 jours et non pas 2 comme on le croyait depuis 75 ans au moins ! Et vous comprendrez que mon plaisir fut bien supérieur à mes attentes.

*****

  Pour continuer avec le même timbre courant, sachez que si vous en trouvez un qui provient d'un distributeur de roulettes, vous tiendrez une grande rareté.

Le souci, c'est que personne à ce jour n'a vraiment trouvé le moyen de reconnaître ces timbres issus de roulettes. Du coup, pour en avoir la certitude, il vous faudra en trouver une bande verticale de 11, et croyez moi, elles ne se bousculent pas au portillon ! Une douzaine existent, environ.



Celle-ci est d'autant plus rare qu'elle est ici accompagnée de la bande de garde qui servait à emballer la bobine de 500 constituée : la seule que je connaisse.

 

  Les timbres de roulettes préoblitérés sont connus pour avoir une variété caractéristique et constante de leur surcharge (toujours rotative), que l'on retrouve une fois par galvano de 50. 

Il s'agit d''un gros point anormal situé entre le F et le R.

J'aurais bien aimé vous la montrer, mais personne ne l'a jamais trouvée, cette variété sur ce timbre !


Peut-être qu'elle n'existe pas si le défaut a été corrigé avant la mise en route de son tirage, mais en revanche, on la trouve (difficilement) sur tous les autres valeurs : c'est tout de même étonnant !

Mais du fait de la rareté de la roulette en question, son existence reste possible sans qu'aucun philatéliste ne l'ait vue.

 Voici le point rond sur le 10 c. vert (type IV) :



 Si jamais, vous en croisez un sur le 15 c.  ne le laissez surtout pas passer, et sachez que je suis prêt à vous l'acheter 3 fois la cote... si vous trouvez une cote...

 *****

   Il parait qu'il existe une autre rareté pour ce timbre : une double surcharge !

Ceci n'est bien entendu possible qu'avec la surcharge à plat, celle qui est déjà rare et de 1925, puisque les rotatives ne pouvaient en aucun cas être responsables d'une telle erreur.

Seule l'intervention humaine, manuelle, pouvait faire passer 2 fois une feuille sous la presse des surcharges... Involontairement ou pas ?

Bizarrement, seuls 2 timbres seraient connus avec cette variété. On les voit passer de temps en temps dans les ventes, mais ils ne trouvent pas preneur, trop chers !

Et personnellement, je me méfie beaucoup des falsifications de ces surcharges hors de prix.

Les voici :

 




*****


  Une autre grande rareté : le surchargé SPECIMEN des cours d'instruction, quasi introuvable en bloc de 4 avec coin daté :

La seule date connue

*****
Plus abordable, mais sympa et rare, cette surcharge à plat et à cheval :



 Comme quoi, même pour une Semeuse des plus courantes, on peut trouver des pièces véritablement  exceptionnelles, et que peu de collections contiennent !
(même la mienne hélas !)