Le mystère s’éclaircit enfin !
C’est
grâce au Musée de la Poste que je peux aujourd’hui répondre enfin à la question
initiale, et affirmer que 1912 est bien l’année de naissance de ce timbre. Il
n’y avait déjà pour moi plus aucun argument en faveur de 1914 puisque la date
du 31 mars citée par erreur par mes illustres prédécesseurs, n’a en réalité
jamais existé, ni été vue depuis. Mais il me fallait encore apporter des
arguments irréfutables pour conclure en faveur de 1912.
Mes trouvailles :
En 2023, le Musée avait contacté quelques
amis collectionneurs et membres de l’A.C.C.P. afin de préparer une remarquable
exposition sur les carnets. Celle-ci débuta au début de l’année suivante, et
vient de se terminer. Dans une des vitrines, trônait en majesté une pièce
unique appartenant à notre patrimoine national : un des premiers essais de
carnet au petit format, ayant la particularité d’être mixte. En effet, il
renferme et protège (agrafés entre deux couvertures cartonnées roses) 7
feuillets de 6 timbres au type Semeuse : au total 24 verts à 5 c. et 18
rouges à 10 c. pour une valeur de 3 francs. Ce carnet est bien connu, car
décrit depuis des décennies par tous les grands philatélistes ou experts qui
l’ont approché, tenu dans leurs mains, et même signé. Mais il n’a pas été correctement
photographié. Et surtout finalement assez mal étudié, à tort !
Il
faut dire qu’il est délicat à manipuler, qu’il ne sort pas souvent de sa
tanière, et qu’il serait dommage de l’endommager pour en obtenir de belles
images. Du coup, je me suis contenté d’une simple photo de la vitrine en
question, qu’un ami a bien voulu me faire parvenir, et que voici :
(la présentation a nécessité la présence d'une photographie montrant un feuillet rouge)
Et c’est là qu’un détail me saute immédiatement
aux yeux ! J’ai même failli me précipiter dans un T.G.V. pour aller
vérifier de visu. Le feuillet vert présente au niveau de sa seule marge
restante, sur la gauche, la particularité de ne pas avoir la fameuse
perforation horizontale qui dépasse habituellement, dont je vous avais
longuement parlé dans mon précédent article. Première trouvaille.
PERSONNE ne s’en était JAMAIS
aperçu ni inquiété !
Alors
que c’est pourtant une caractéristique extraordinaire, absolument remarquable,
et fort instructive comme nous allons le voir. Aucune autre Semeuse verte à
5 c. n’a jamais été vue perforée ainsi ! Et cela pouvait tout à fait
nous mettre sur la piste d’un nouveau type de ce timbre. Hélas, la définition
de la photo n’était pas suffisante. Je ne tenais plus en place. Il me fallait
absolument aller le vérifier avec une loupe en demandant à ce qu’on m’ouvre
cette vitrine, mais vous pensez bien que je n’ai pas osé. Par souci de sécurité, je risquais de devoir attendre la
fin de l’exposition. Heureusement
qu’en la personne de Madame NOWACKA, j’avais pu rencontrer afin de participer à
son exposition, une responsable du patrimoine fort sympathique. Cela a pris
quelques mois (vous imaginez mon impatience) mais j’ai pu obtenir une image
d’excellente qualité du premier feuillet. La voici :
Petite
déception pour moi : il ne s’agit pas hélas d’un nouveau type dont
j’aurais trop aimé être le découvreur, mais bel et bien du type IA,
celui des feuilles de 150 timbres. Mais cela me permet tout de même de corriger
une erreur de Messieurs Storch et Françon qui l’avaient donné pour un type II
(celui des carnets émis) dans une publication de 1980. Une seconde
trouvaille, 45 ans plus tard, dont je ne suis pas peu fier !
Du coup, l’appétit venant en mangeant,
j’aurais bien aimé vérifier également le reste du carnet :
- - les
4 feuillets verts sont-ils tous bien identiques : sans perforation, et au
type IA ?
- - les
timbres rouges sont-ils bien au type IA comme l’affirmaient ces deux grands
spécialistes, et non au type II comme l’on aurait pu s’y attendre ?
- - ou
bien s’agit-il d’une malencontreuse inversion des deux types dans leur
texte ?
- - qu’en
est-il de la désormais célèbre perforation au niveau de la marge des 3
feuillets rouges ?
Il
m’a fallu cette fois-ci négocier, car obtenir une excellente image numérique
des autres feuillets revenait à écarteler ce prestigieux mais logiquement devenu
vieux et fragile carnet. Chose qui s’avérait bien entendu inenvisageable.
Ma patience a tout de même été récompensée
après avoir été mise à rude épreuve, car il m’a fallu attendre la fin de
l’exposition pour en recevoir de très jolies photographies. D’où cet article en
ce jeudi 11 décembre 2025, une date qui restera j’espère dans les annales de la
philatélie (je plaisante).
Je peux donc à présent vous certifier que
les 4 feuillets verts sont identiques entre eux, ainsi que les 3 rouges, et
vous faire profiter d’une image confirmant le type IA des timbres rouges à 10
c.
J’espère
que votre regard, comme le mien, s’est immédiatement dirigé vers la
marge : pas de perforation ici non plus !
Aucun
autre cas semblable n’est connu pour cette valeur au type IA !
C’est une caractéristique qui est connue, certes, mais uniquement pour
les timbres au type II. Magnifique troisième et dernière trouvaille.
Au
passage, je vous confirme qu’aucun des 7 feuillets n’est imprimé sur papier
avec gomme dite X.
La datation :
On
sait depuis longtemps que ce carnet d’essai a été imprimé à la fin de 1911,
puisqu’un courrier officiel conservé au Musée et daté du 22 décembre 1911, en
témoigne sans aucune contestation possible :
Il s’agit du 4ème de la
liste qui est coché, avec la mention « seul reçu » dans la
marge
Récapitulons
ce que nous savions déjà, ou avons appris aujourd’hui, et qui ne laisse pas sa
place au doute :
- - les
timbres verts comme rouges de ce carnet d’essai sont aux mêmes types que
ceux des feuilles de même faciale qui étaient alors imprimées et mises en
circulation depuis 1907
- - de
la même façon que nous avions démontré en 2022 que l’ancien peigne pouvait tout
à fait perforer les feuilles de 144 au prix de la déperdition d’un tiers des timbres, l’inverse est également
possible : le nouveau peigne a donc bel et bien perforé les feuilles de
150 utilisées pour ces essais de l’atelier
- d’autres carnets d’essai mixtes ont existé (ils sont décrits dans le courrier montré) mais ils ont aujourd’hui hélas disparu. Ils devaient certainement contenir des feuillets similaires à ceux que je vous montre aujourd’hui, ainsi que d’autres de 6 timbres bleus à 25 c.
Il est évident qu’à la suite de ces essais de
carnet mixte dont le format choisi a donné satisfaction, la décision fut prise
de n’y placer finalement que 30 timbres rouges à 10 centimes pour une même
valeur de 3 francs. L’atelier a forcément dû alors imaginer également un
nouveau format de feuilles permettant d’obtenir plus facilement des blocs de 6
timbres. Ce seront les célèbres feuilles de 144 timbres avec leur composition
extraordinaire. D’où la nécessité d’un nouveau matériel d’impression, et donc
la création préalable du poinçon que je vous ai montré.
Tout ceci a pris du temps, oui,
mais certainement pas 2 ans !
On voit bien avec les carnets déjà décrits parvenus jusqu’à nous avec différentes formes que seul un œil averti parvient à distinguer, que l’atelier effectuait des essais préparatoires avant d’adopter un modèle définitif, comme c’était son habitude.
Pendant quelques semaines fin
1911 – début 1912, l’atelier a donc dû :
- -
fabriquer
un nouveau peigne, qu’il a fallu adapter aux machines déjà en service pour la
perforation
- puis l’essayer sur quelques feuilles de 150 classiques aux types IA, afin d’obtenir en vitesse quelques feuillets de 6, dont ceux qui ont servi à confectionner les fameux carnets mixtes (leur date de naissance est certaine)
- puis imaginer des feuilles de 144 timbres, permettant d’obtenir 24 feuillets de 6 sans aucun gaspillage, tout en respectant le format des feuilles habituelles pour ne pas trop perturber les habitudes
- ce qui a nécessité la création du nouveau poinçon du 10 c. rouge au type II, et la fabrication d’une planche
- en abandonnant l’idée des carnets mixtes, pour n’imprimer que les feuilles de 144 que nous connaissons
- dont une infime partie fut curieusement perforée avec l’ancien peigne
- afin de confectionner les carnets de 5 feuillets de 6 = 30 timbres soit 3 francs qui ne seront mis en vente que bien plus tard, ainsi que quelques feuilles restantes non découpées mises à la vente encore plus tard
L’utilisation
concomitante des 2 modèles peignes pour perforer les feuilles de 144 d’une
part, et d’autre part l’existence que nous venons de prouver de 2 modèles de
feuilles perforées avec le même nouveau modèle de peigne ne peut que renforcer
notre conviction !
Je ne pense pas que le moindre
doute puisse subsister :
C’est entre le 7 mars et le 1er
avril 1912 (dates extrêmes connues à ce jour)
que les feuilles du 10 c. rouge
Semeuse au type II ont été imprimées,
dans le but de confectionner les
carnets de 30.
Ce qui coïncide parfaitement avec l’arrivée à l’atelier
des nouvelles feuilles de papier gommé X.
******
En cours de rédaction il m’est apparu une
autre possibilité à laquelle je n’avais pas pensé jusque-là : les feuilles
de 150 ainsi piochées dans la production en cours pour la réalisation de ces
essais de petits carnets, pouvaient tout aussi bien être des feuilles destinées
à la fabrication des roulettes ! Elles étaient toutes aux type IA
également, ce dont l’atelier n’avait même pas connaissance d’ailleurs.
Leur
composition, différente de celle des feuilles-vente (verticalement 2 panneaux
de 5 x 15 timbres) une fois placée sous le nouveau peigne, pouvait également fournir
à l’atelier des blocs de 6 absolument similaires à ceux du carnet mixte du
Musée.
Avec
une de ces feuilles pour roulettes et le nouveau peigne, on peut même obtenir 7
blocs de 6, alors que l’on ne peut en obtenir que 6 avec une feuille-vente
(tous avec marge gauche non perforée).
Aura-t-on un jour le fin mot de
l’histoire et pourrons nous trancher entre ces deux éventualités ?
Il va falloir examiner d’encore plus près
les timbres du carnet du Musée, pour tenter de repérer une ou plusieurs des
variétés de cases qui ont été identifiées sur les différentes feuilles de 150 plus
faciles, elles, à examiner.
Ceci
n’est pas une mince affaire, et va certainement nous occuper encore quelques
heures !
Ce
sera peut-être l’objet d’un prochain article…
Toutes vos observations sont les
bienvenues.
A.
Maury : Le collectionneur de timbres-poste – juin 1914, avril 1916 et
novembre 1918
A.
Teissier : Carnets de timbres-poste de France et Colonies – Bulletin
philatélique du midi – 1956
P.
De Lizeray : Timbres de France - tome 3 – 1959
P.
De Lizeray : L’écho de la timbrologie – septembre et octobre 1966
P.
De Lizeray : Timbres et types, vol. IX – Monde des philatélistes – 1972
Dr
Rykner : Documents Philatéliques n°84 – 1980
J.
Storch et R. Françon : La philatélie française n°316 et 317 – 1980
J.
Storch et R. Françon : Les timbres-poste au type Semeuse camée de 1907,
volume 1 – 1981
G.
Gomez : bulletin ACCP n°369 - 1994
L. Coutan et Patrick Reynaud : Carnets de France Volume 1 - Yvert et Tellier - 2005
P. Lejeune : site internet http://www.semeuses.com