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samedi 28 décembre 2019

La loi des séries



  Lorsqu'il fut décidé en 1922 de faire figurer en France de la publicité sur les couvertures des carnets de timbres-poste, le succès fut immédiat auprès du public qui a trouvé ça sympa, et des annonceurs qui ont ainsi disposé d'un support innovant afin de faire connaître leurs produits au plus grand nombre.

  L'administration avait signé l'année précédente un contrat, et nous l'avons déjà vu ici, avec un imprimeur privé, Carlos Courmont, qui a su profiter de l'exclusivité.
Il a eu la bonne idée de numéroter les couvertures qu'il fabriquait sous formes de séries, et de respecter scrupuleusement une numérotation chronologique : de la série 1 (après quelques essais) à la série 264 pour ce qui concerne le type Semeuse.

On peut constater sur ces couvertures intérieures
le nombre croissant de carnets vendus :

série 1

 série 4

 série 23

De 15 à 40 millions au cours de la première année !

Une même série pouvait contenir plusieurs couvertures distinctes : à lui la charge de répartir à sa guise les textes et illustrations des firmes avec qui il s'engageait. Les tarifs dépendaient de l'importance de la publicité, et de sa situation à l'extérieur ou à l'intérieur du carnet.

On pense que le plus souvent une série correspondait à un million de carnets, mais j'ai des doutes au vu de la rareté de certaines...
*****


  La Semeuse 25 c. bleu YT n°140 au type II est celle qui a essuyé tous les premiers plâtres : les premières couvertures publicitaires, puis les premiers carnets au "grand format", puis les premières pubs ! Tous imprimés en typographie à plat, une feuille donnant 6 carnets.

  * Le premier carnet concerné est le 140 C5 au petit format, avec les séries 1 à 27 (les séries 5, 11 et 26 étant attribuées à d'autres Semeuses : 5 c. orange et 10 c. vert). Hélas leur format ne permet jamais d'y voir la moindre date d'impression, de 1922.

Le format des carnets est ensuite passé en 1923 de 110 x 60 mm à 115 x 72 mm pour laisser un peu plus d'espace publicitaire sur leurs 4 petites pages (et, c'est vrai aussi, pour simplifier leur fabrication).

  * Apparaît donc le 140 C6 au grand format avec les séries 29 à 42 (la série 28 étant encore pour le 10 c. vert Semeuse et Pasteur). Dates d'impression connues du 20 avril au 10 août 1923.

Ce n'est que fin 1923 que les bords des timbres de ces carnets ont été à leur tour recouverts de messages publicitaires (les fameuses pubs), sans rapport en général avec les publicités figurant sur les couvertures.

  * Viennent enfin les 140 C7 à C19 avec pubs diverses, imprimés de décembre 1923 à mai 1925, avec les séries 43 à 89 (les séries 44 et 49 étant pour le 10 c. vert Semeuse et Pasteur).


   Pourquoi, à votre avis, ne vous parle-je pratiquement que de cette fameuse Semeuse YT n°140 ?
- parce qu'à cette époque, c'est le timbre le plus courant, le plus utilisé, sa valeur correspondant aux principaux tarifs,
- parce que c'est celle qui a eu droit aux plus jolis carnets, aux plus rares,
- parce que c'est mon timbre préféré,
- et parce que la collection de ses carnets est celle qui nous fait littéralement rêver : impossible à réunir complète en tout cas !


  Imaginez donc : à ce jour, on connait 73 couvertures pour le 140 C5 + 43 couvertures pour le 140 C6 + 157 couvertures pour ceux avec pubs (j'ai pu en oublier quelques unes au passage, mais je ne le pense pas). Et comme plusieurs carnets ont été placés dans la même couverture parfois, cela fait vraiment  un sacré nombre de compositions différentes, autour de 400 !
Sans parler de celles qui restent à découvrir, peut-être ?...
Rien qu'en 2019, deux nouvelles ont été dénichées.

*****

  Et pourquoi ai-je donc décidé de m'arrêter là aujourd'hui, alors que la Semeuse a rempli encore bien des carnets jusqu'en 1932 ?

Tout simplement parce que le père Noël a eu la gentillesse d'apporter celui-ci jusqu'à mes petits souliers, bien qu'il ne paye pas trop de mine, comme l'on dit :


Il s'agit ici de la version A de la série 89 
(il en existe 2 autres : 89 B et 89 C avec des couvertures différentes)

  Ce carnet EVIAN est le plus commun, c'est sûr, de tous ceux de ce timbre, mais cela n'empêche pas certains autres d'être de vraies raretés, la différence tenant à leur couverture : on voit souvent les mêmes, assez courantes, et certaines presque jamais. Il en existe de superbes, polychromes.
Comme celle-ci par exemple, de la série 65, qui fait envie :


  On rencontre assez fréquemment les publicités pour la bretelle GUYOT ou les assurances L'AIGLE, qui ne sont pas les plus séduisantes : monochromes et sans images.
Et les pages intérieures ne sont guère mieux :


  Alors pourquoi m'intéresser à ce carnet d'apparence si commune ?

  Grace à la chronologie de Mr Courmont, et bien aidés par la visibilité d'une date d'impression au bas de certains carnets, nous avons pu dater l'émission de celui-ci vers mai 1925.

Et cela a son importance car il s'agit de la dernière série de ce timbre. On a vu en effet des carnets des séries 87 et 88 imprimés début mai, et la 89 est logiquement venue juste après.


  Par ailleurs, le musée de la Poste conserve dans ses archives 2 bons à tirer prévus pour ce YT 140 qui sont justement datés de mai 1925, et qui n'ont jamais donné de carnet pour le 25 c. bleu mais pour le 30 c. rose YT n°191 qui a pris sa suite.
Les carnets de ce dernier n'ayant existé qu'avec les séries 88, 89 et 90.

  Et pourquoi ce serait la dernière série de ce timbre, me direz-vous ?

Tout simplement parce qu'à la base, le timbre est fait pour affranchir le courrier, et pas pour exciter quelques hurluberlus amateurs de carnets un siècle plus tard !

 Le tarif le plus utilisé, celui de la lettre simple pour l'intérieur allait changer le 15 juillet 1925.
La Poste a estimé avoir un stock suffisant de timbres à 25 c. en feuilles ou en carnet, pour arrêter d'imprimer ces carnets du 140 au mois de mai, un peu avant ce nouveau tarif qui sera de 30 c.
Elle devait être bien informée !... De source sûre !

On sait également, grâce aux coins datés des feuilles de 100, que leur impression s’arrête elle aussi, le 20 mai, ce qui est logique, et qui correspond bien.

*****


  Dans un premier temps, c'est le timbre rose YT n°191 qui sera imprimé en carnets, du 8 au 16 juillet, puis le bleu YT n°192 dès le lendemain 17 juillet, d'après les dates que nous avons vues.
Il fallait bien se préparer une semaine à l'avance pour faire face à la demande accrue prévisible de timbres à nouvelle valeur faciale de 30 c.


Ensuite il a fallu que la couleur des timbres des nouveaux carnets, initialement rose pour des raisons mystérieuses, corresponde finalement au tarif de la lettre simple, en remplacement du 25 c. = le bleu.


  Autre preuve : pour les premiers carnets de timbres à 30 c. qu'ils soient imprimés en rose ou ensuite en bleu, les couvertures des séries 88 et 89 sont celles qui avaient été imprimées pour le 140, sur lesquelles a été apposée une surcharge rouge modifiant la valeur :


Il a fallu épuiser le stock de ces couvertures prévues pour le 25 c. et devenues inutilisables puisque l'on n'imprimera plus de timbres à 25 c..
Rien ne doit se perdre ! Pas le moindre gaspillage !

YT 191 ou 192 88 A surchargée

YT 191 ou 192 89 A surchargée


  De plus, tous les carnets de timbres à 30 c. qui existent avec ces couvertures 88 ou 89 surchargées en rouge sont vraiment très courants : on en voit partout, encore de nos jours !
Preuve que leur tirage a été important. Au détriment des mêmes carnets du 25 c.

C'est pourquoi, il est logique de penser que les carnets du YT 140 avec couvertures de ces séries 88 et 89 (non surchargées évidemment) doivent être assez peu nombreux, pour ne pas dire rares.
C'est mon avis en tout cas ! Et je le partage.

Merci Papa Noël !



 En revanche, l'histoire ne nous dit pas pourquoi Courmont a créé à la même période cette bien curieuse série 89 "petit B", toujours pour le carnet EVIAN du 140, qui n'est pas courante non plus :


 C'est bien la première fois qu'une lettre est ainsi accolée au numéro de la série !

(zoom)

Peut-être pour écouler, à l'inverse,
quelques feuilles de carnets EVIAN restantes,
pour lesquelles on n'avait pas pensé à conserver
la moindre couverture non surchargée ?


Est-ce que l'un d'entre vous aurait une meilleure idée ?



lundi 23 décembre 2019

à nos lunes !


  L'avantage d'avoir comme moi choisi une collection spécialisée, bien que cela puisse paraître monotone, c'est de voir toujours le même timbre : sous des formes ou des couleurs différentes, mais toujours le même !

Millésimes, coins datés, carnets, roulettes, qu'ils soient rouge, bleu ou vert, la silhouette et les détails de cette Semeuse, décidément, ne nous lasse toujours pas.

  Les variétés d'impression pourraient tout à fait constituer une collection à part entière, car leur diversité est infinie. La moindre anomalie dans le processus de fabrication peut être à l'origine de curiosités plus ou moins spectaculaires.
Et puis, on a l'habitude de dire que toutes les timbres porteurs de variétés sont des pièces uniques, dont la valeur dépend de l'aspect esthétique, bizarre ou bien joli, minuscule à peine visible ou bien défigurant l'oeuvre d'Oscar Roty.

  La variété dite "anneau-lune" est connue de tous les amateurs, même si elle ressemble plutôt à une éclipse de soleil qu'à celle de notre seul satellite.
Idéalement rond, comme ici...


...il peut donner l'impression (c'est le cas de le dire) que notre Semeuse joue à la balle, ou à la pétanque.

  Sur cet exemple imprimé en rotatif, deux petits bouts de papier résultant de la perforation d'une autre feuille et emportés par un heureux courant d'air, sont venus se déposer sous la feuille au moment de son impression, et  créer un infime relief responsable de cet aspect.
Il est à noter que cela ne se produit qu'exceptionnellement sur deux timbres voisins : le hasard fait parfois bien des choses !

  Malgré toutes les précautions prises à l'atelier pour éviter ces défauts que nous appelons nous philatélistes des variétés, si un corps étranger venait à s'interposer au mauvais endroit au mauvais moment, il en résultait alors un défaut sur les timbres, plus ou moins visible, pouvant passer inaperçu aux yeux des contrôleurs.

  Peut-être qu'un de ces agents si consciencieux et à l’œil de lynx a tourné la tête une seconde, ou bien éternué, au moment de vérifier cette feuille-ci ?


Il s'agit d'un défaut exceptionnel. Une telle feuille aurait dû être écartée et mise au rebut si elle avait été repérée. Mais à mon avis, le morceau de papier responsable du blanc devait encore être posé dessus au moment du contrôle, pour ne se "décoller" que plus tard.

  Mais revenons à nos petites saletés ou morceaux de papier venant se cacher sous la feuille pour notre plus grand plaisir, et non pas se "coller" dessus :


  Au fil des années et de mes recherches, j'ai réussi à réunir ces 2 timbres porteurs du même "anneau-lune", issus de 2 feuilles imprimées le même jour, et ayant échappé elles aussi aux contrôles !

Comme pour la balle ou la boule de pétanque, on y voit le même halo blanc vierge de tout encrage qui entoure la même petite zone encrée et imprimée en son centre.

 Incroyable, non ?


 Vous pouvez comparer la dentelure : ce sont bien 2 timbres différents !

Et puis, comme le veut le dicton,
jamais deux sans trois, alors en voici un autre :


Saperlipopette ! Toujours le même défaut !

  Ces timbres ne m'ont coûté que quelques euros (et quelques décennies de collection), mais de les savoir réunis dans un de mes albums me procure bien plus de plaisir que pas mal d'autres pièces beaucoup plus coûteuses.

  Et surtout, ils me laissent rêver et espérer qu'un jour prochain, peut-être grâce à vous qui me lisez, un quatrième pourrait venir les rejoindre...


Ouvrez l’œil pour moi S.V.P. car je suis certain 
qu'il en a existé d'autres, et ne vous gênez surtout pas 
pour me les signaler en cliquant sur "Aucun commentaire" 
MERCI
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samedi 7 décembre 2019

Ça doit faire Maluku !


  TOUT ce qui peut exister au type Semeuse m'intéresse ou m'amuse,
SAUF les monnaies (mais c'est une collection à part) et les entiers postaux.
Pour ces derniers, c'est volontairement que je les laisse de côté : j'ai déjà avec les timbres de quoi occuper toute une vie...
Cela dit, rien ne m'empêche d'en caser quelques uns dans ma collection lorsque, par exemple, la destination me manque ou me plait particulièrement.

  Vous savez déjà que les courriers pour l'étranger avec "Retour à l'envoyeur" sont une de mes recherches préférées, d'autant plus si la destination est lointaine ou exotique.

Voilà pourquoi, lorsque je l'ai vu passer, je n'ai pu m'empêcher d'acheter cet entier du 10 c. rouge :


   Le texte nous apprend que l'expéditeur parisien était un membre de la Société Entomologique de France, à la recherche de correspondants susceptibles de lui fournir des coléoptères (même les infiniment petits), lépidoptères et hyménoptères !

Pour ceux qui l'ignoreraient encore, ne confondons pas tout :

Les coléoptères sont un ordre d'insectes holométaboles dotés d'élytres protégeant leurs ailes. Du grec κολεός « fourreau » et πτερόν « aile ». Les scarabées, les coccinelles, les hannetons, les charançons par exemple.
Les lépidoptères sont un ordre d'insectes holométaboles dont la forme adulte est communément appelée papillon, dont la larve est appelée chenille, et la nymphe chrysalide.
Les hyménoptères sont un ordre d'insectes holométaboles, de la sous-classe des ptérygotes, de la section des néoptères et du super-ordre des endoptérygotes. Les abeilles, les guêpes, les fourmis et les frelons.

Cela vous donne une idée de sa collection à lui !...

(avec sa signature !)

  Merci Wikipedia ! Eugène Le Moult, né en 1882, était le fils du directeur des Travaux publics du Pénitencier de Cayenne. Seul exportateur des papillons de Guyane, il fait de ce commerce le troisième de la contrée, après l’or et les bois précieux. Rentré à Paris en 1908, il possède trois ans plus tard la quatrième collection de papillons du monde après celles des musées de Paris, Washington et de Londres !
Il vit de la vente de spécimens aux collectionneurs, et met le papillon à la mode en créant une véritable industrie d’objets décorés d’ailes découpées et collées. Il en vient bientôt à peindre des tableaux faits d'une palette de papillons. Pour augmenter ses collections, il a recruté des chasseurs parmi les bagnards. En 35 ans, il a collecté 4 500 000 papillons et insectes.

Belles bêtes !

Il meurt à Paris en 1967 dans son cabinet entomologique. 
Ses collections furent vendues aux enchères à Drouot.

  Ce 21 mai 1909, il sort de son appartement voisin du Jardin des plantes pour aller poster son courrier au bureau tout proche de la rue Monge. Il fait beau. Il a 27 ans.

Il a décidé d'écrire au Révérend Père Le Coq d'Armandvilla qui séjourne à l'autre bout de la planète, à Céram, pour lui demander de l'aider à compléter ses collections. 

Certainement avait-il lu la veille dans une des revues spécialisées auquel il est abonné, qu'une multitude de passionnantes mais affreuses bestioles volantes ou grimpantes, profitait du climat agréable des Moluques. 
Et il en voulait absolument quelques spécimens !


Cliquez sur la carte pour mieux vous situer :


Ahh ! Tous ces noms en rouge qui font rêver, à 13 000 Km de chez nous !...

  Cet archipel indonésien, alors possession hollandaise en Malaisie, était surtout connu pour ses îles productrices d’épices. 
Le nom des Moluques, en indonésien Maluku, vient de Jazirat al Muluk, « l'île des rois », et leur a été donné par les marchands arabes. Amboina en était la capitale. Céram une des îles de l'archipel, et Amahei un petit village de sa cote sud.

Ils n'ont pas dû en voir passer souvent des Semeuses
dans ce coin du monde !

  Pour la modeste somme de 10 centimes, cet entier postal va donc s'élancer le 22 mai 1909 vers l'Indonésie, afin de transmettre le message de notre entomologiste.

Sauf que...


...Vraiment pas de chance ! 
Pas moyen de trouver ledit Révérend Père à Céram !

  La carte est bien arrivée à Amboina, le 4 juillet 1909. Et même passée par Amahei. 
Un premier employé des postes de là-bas, avec son crayon bleu, a tout d'abord noté "pas connu" en Français et en Hollandais. 

Puis, comme le dit si bien l'étiquette bilingue rose, et le précise la mention manuscrite "Parti pour Paris", il semble que le destinataire ait choisi de rejoindre la France sans prévenir Eugène le Moult !

Deux autres cachets de la capitale des Moluques du 31 juillet et du 8 septembre témoignent de la remarquable rigueur professionnelle de la poste (hollandaise, je pense) qui a dû consciencieusement fouiller toute la région pour tenter de retrouver le Révérend Père Le Coq, sûrement bien connu ! 

  En désespoir de cause, il a bien fallu se rendre à l'évidence, et la carte a été retournée elle aussi à Paris, ornée de la fameuse griffe RETOUR A L'ENVOYEUR qui pour moi et ma collection, vaut mieux que tous les scarabées ou papillons du monde !


Ayez une petite pensée pour Eugène qui, lui, a dû être bien déçu !



vendredi 22 novembre 2019

C'est bien ce qu'il me semblait !...


  Peut-être que ça ne va pas passionner grand monde, mais moi je suis bien content d'avoir trouvé en farfouillant sur internet la confirmation que je cherchais.

Il fallait bien chercher, c'est vrai !

Caché au fond du journal "L'intransigeant" du 15 mai 1927, à la rubrique des petites annonces.

Au niveau des offres d'emploi de placiers, courtiers, représentants.

  On y lit que la société à l'origine de la Lettre Touristique Mondiale dont je vous avais montré une superbe carte-lettre en novembre 2018, avec sa Semeuse perforée si rare, recherchait à l'époque un courtier, et lui promettait de gros gains...



Ceci semble confirmer que ces cartes datent bien de 1927
comme le laissait supposer l'exemplaire oblitéré.


dimanche 17 novembre 2019

Avec ce froid !...


  Si vous allez skier ou vous promener cette saison du côté de Serre Chevalier, prévoyez des chaines pour la voiture, car les routes y ressemblent souvent à ça...


...et le col du Lautaret sera probablement fermé !

*****
  On savait notre Semeuse intrépide et baroudeuse, toujours prête à s'élancer aux quatre coins du monde, quitte à employer tous les moyens mis à la disposition du courrier. 

Rien ne l'a jamais effrayée : ni les longues et périlleuses traversées maritimes, ni les premiers raids aériens, ni les traversées du désert en autochenilles ! Elle a même essayé un court trajet en fusée en 1938... Dommage que les américains se soient lancés les premiers à la conquête de la lune, sinon elle aurait été du voyage, c'est sûr !...

  On sait aussi que les explorateurs de l'époque, lorsqu'ils organisaient leurs aventures et grandes expéditions, emmenaient presque toujours du courrier avec eux. Que ce soit pour inaugurer un service postal innovant dans sa rapidité, dans son parcours, ou bien pour faire plaisir aux philatélistes, il est rare de ne pas trouver dans leurs bagages une lettre, une carte postale affranchie avec notre timbre préféré.

  Vous connaissez certainement Paul-Emile Victor. Ses initiales P.E.V. sont restées gravées dans les mémoires et dans les glaces du Groenland, où il a vaillamment porté le drapeau français dès 1934. 

Je viens d'apprendre qu'il se nommait en réalité Paul-Eugène ! C'est vrai que ça sonne moins bien...

  Amoureux des Alpes, le voici (à droite) au col de Montgenèvre en train de préparer une de leurs expéditions, avec son ami et coéquipier le géologue Michel Pérez :


 A force de fréquenter les villages isolés de montagne, il a dû se rendre compte de l'importance que prenait l'hiver la distribution du courrier et le passage du facteur pour ces habitants, qui se retrouvaient facilement démunis et coupés de tout lors des fortes chutes de neige.

Comme lui et ses chiens étaient les seuls à pouvoir se déplacer assez rapidement dans ces conditions, une idée lui est venue : prouver que les chiens de traîneaux pouvaient être utiles à la population, même ailleurs qu'au pôle Nord.



  Le 26 janvier 1938, ces deux hommes, forts de leur expérience au Groenland, réalisent la première liaison postale alpestre en traîneau à chiens, avec l’autorisation spéciale du ministère des PTT.


  Le départ s’effectue à 8 h 30 sous le contrôle du receveur des postes de Briançon. Un traîneau spécialement mis au point par eux et tiré par sept chiens groenlandais va permettre ce transport expérimental Le Monêtier-les-Bains - La Grave et retour, en passant par le col du Lautaret.

Un sac postal est emporté pour La Grave, où un autre sac leur sera remis pour le retour vers Monêtier-les-Bains. Michel Perez et Paul-Émile Victor avaient réalisé 12 entiers postaux pour témoigner de cette performance postale.

En plus du sac postal, les deux hommes emportent du matériel de réparation et de secours, des vivres et des vêtements ainsi que deux paires de skis avec bâtons. C’est une charge d’environ 90 kilos, traîneau compris, qui va parcourir 60 kilomètres.


Au cours du parcours qui aura duré moins de 8 heures, Michel Perez et Paul-Émile Victor se sont relayés pour marcher à côté du traîneau, l’autre étant toujours assis sur le traîneau.

  Même s'ils sont anecdotiques (et au type Paix), ces entiers m'ont toujours attiré du fait de leur rareté et surtout leur originalité ! Ils ont officiellement circulé, et ne sont pas que philatéliques.
En plus, comme le tarif de la carte postale pour l'intérieur était de 55 centimes, il y toujours une Semeuse à 15 c. YT 189 collée dessus (sinon, je ne vous en aurais jamais parlé) :


Pour la plupart ils se les sont adressés à eux-mêmes
en Poste restante, vers La Grave puis Le Monêtier au retour.

Sur certains, les 2 explorateurs ont apposé leurs signatures, 
comme celui-ci réadressé le soir-même de Briançon vers Paris :


Ils y ont même corrigé à la main les horaires des cachets d'arrivée : 
12 h. 20 à La Grave, et 17 h. 30 au Monêtier !

Sur celui-ci figure un cachet frappé avec un tampon fabriqué pour l'occasion :


Au dos de celui-ci, tous les cachets du parcours, authentifiant l'exploit réalisé :


 En voici donc 4 sur les 12, mais j'aimerais bien voir les huit autres un jour. 
Ils ont certainement été tous bien conservés (par le froid !...)
Si vous en voyez passer un, MERCI de me le signaler !

On connait cette lettre, hélas sans Semeuse :
Mais contenant ces photos :



  À l’issue de cette liaison postale rapide d’hiver, Perez et Victor sont persuadés qu’un traîneau à chiens conduit par n’importe quel temps et quelles que soient les conditions d’enneigement, peut rendre des services analogues dans toutes les Alpes « assurant le service postal comme également le ravitaillement des postes de montagne, et le transport des blessés ». 

 Cette belle histoire reste assez peu connue, sauf de quelques philatélistes. Elle aurait pourtant pu être bien plus utile aux Français vivant en montagne que les expéditions arctiques dont elle n'a pas le prestige. A croire que l'automobile est vite venue au secours de ces régions enneigées...

Les chiens peuvent dorénavant se reposer sur leurs deux oreilles !


La presse en a tout de même un peu parlé :

"Paris Soir" du 28 janvier 1938

Les deux amis relieront même un peu plus tard Nice à Chamonix, de la même façon !

Plus de 35 ans après cette liaison postale historique, en 1975, Paul-Émile Victor affirmait :
« Aujourd’hui encore, lorsque le Lautaret est fermé, il faut souvent deux jours au courrier pour faire le même trajet. » 

Merci aux sites internet, et aux propriétaires de ces entiers 
qui m'ont permis de vous conter cette aventure 
extra ordinaire !

N.B.
c'est à Bora Bora que P.E.V. avait choisi de finir sa vie,
ce qui fait un lien avec mon article précédent.


samedi 2 novembre 2019

Aux bouts du bout du monde !


  Pour ceux qui auraient du mal à situer sur une carte les îles de la Désolation, j'ai mis un petit rond rouge dessus, cherchez bien :


Faut avouer que celui qui leur avait donné ce surnom (James Cook)
n'avait vraiment pas exagéré !
Je ne pense pas qu'on puisse trouver sur notre planète un coin plus reculé et inhospitalier : des vents permanents y soufflent souvent au-delà des 150 Km/heure, avec une température moyenne sur l'année proche de 5°C. 
Et, cerise sur le gâteau, visez un peu la tronche des habitants :


 Ça vous aide si je vous dis qu'elles ont été découvertes en 1772 par ce navigateur breton ?
Yves Joseph de Kerguelen
Seigneur de Trémarec

Pas étonnant que depuis l'époque de Louis XV, 
on ne s'y bouscule pas, aux Kerguelen !

  Deux siècles plus tard, des aventuriers du Havre, les frères Bossière (Henry et René) décident de se lancer dans leur exploitation, avec assez peu de succès, même s'ils ont laissé aux philatélistes de superbes courriers, aujourd'hui recherchés et souvent vedettes des ventes et des expositions. 
Et notre Semeuse y était !

Tous ces courriers qui semblent bien "philatéliques", ont pourtant régulièrement circulé, et sont revenus des Kerguelen via l'Afrique du Sud ou l'Australie.
Les plus rares comme ceux-ci portent un cachet de transit :




(MERCI au passage à leurs heureux propriétaires)

Je vous conseille ce site concernant l'exploitation de cette île perdue :


Henry, sur la droite, en 1909

Et une vue du port, prise après la guerre 

  Déjà pas facile en temps de paix, la promenade dans les quarantièmes rugissants (presque cinquantièmes), la communication avec les Kerguelen a été interrompue durant la première guerre mondiale : vous imaginez bien qu'on ne devait pas y croiser grand monde...

René Bossière avait été nommé Résident de France depuis 1896, ce qui lui avait permis de s'autoriser à utiliser le joli cachet postal ornant ces lettres, mais d'après ce que j'ai pu trouver comme renseignements, l'île avait été évacuée pendant la guerre.

*****

  Toujours est-il que le 16 mars 1918, alors que la France fait face à l'offensive allemande, un certain Monsieur Brunel, demeurant dans le Xème arrondissement de Paris au n°10 de la rue Paradis, a un truc important à raconter à René, ou bien à lui envoyer. 
Pour plus de sûreté, il se décide pour un recommandé, et précise même "par le Cap de Bonne Espérance" à l'attention des postiers.


Son courrier mettra presque 2 mois pour arriver en Afrique du Sud : à Durban le 9 mai, puis à Capetown - Kaapstad le 13 mai.

Mais comme toutes les communications étaient suspendues, la lettre va devoir être retournée dès le 16 mai vers la France.

Au passage, elle a bien évidemment été ouverte et contrôlée par la censure militaire, qui y a apposé son cachet violet au recto, et une étiquette au verso. Visiblement néerlandaise cette censure !

Un mois plus tard, elle est revenue au bureau de Paris X le 19 juin, où elle va chercher son destinataire (qui était d'ailleurs également son expéditeur) jusqu'au 24, pour finalement arriver à Ligny le Chatel dans l'Yonne le 26 juin. Mr Brunel ayant dû fuir à Varennes...

Un bien joli périple qui a laissé de nombreux cachets au dos de l'enveloppe :


  Pour moi qui m'amuse depuis longtemps à récolter des lettres affranchies avec ma chère Semeuse, pour des destinations lointaines, et avec retour à l'envoyeur, celle-ci est une des plus belles !

J'en ai bien trouvé celle-là, pour Papeete, qui est sympa aussi :


Tahiti est peut-être une île encore plus éloignée de tout, en kilomètres, que ne le sont les Kerguelen, mais reste vous l'avouerez, nettement plus avenante :

Une insulaire, dans la même posture que l'animal austral

Je termine en vous montrant à présent le recto de la vue de Port Jeanne d'Arc :


On y apprend que Monsieur Bossière profitait de ses voyages dans les terres australes pour en ramener et distribuer aux scientifiques amateurs, des photos d'éléphants de mer : chacun son truc !
Moi j'ai tendance à préférer les vahinés...